HUMANITE ET NATIONS

L'humanité n'apparaît pas comme un tout uniforme composé d'individus rigoureusement identiques; à côté de certaines caractéristiques communes à tous les êtres humains, et d'autres propres à chaque individu, apparaissent des caractéristiques communes à une certaine fraction de l'humanité.
Outre la division de l'humanité en sexes et en " classes d'âge ", et à côté de la division en classes qui est d'ordre économique, existe une autre séparation qui est d'ordre linguistique, racial et territorial, la séparation en ethnies.
De même que les classes se définissent selon un critère économique, mais recouvrent des réalités humaines globales et pas seulement économiques, de même les ethnies recouvrent elles aussi des réalités humaines globales et pas seulement linguistiques.

La division de l'humanité en ethnies est antérieure à la division du travail et donc à l'existence des classes.
La classe se définissant par la situation dans les rapports de production (et dans la consommation) est une catégorie sociale universelle; tout individu appartient à un groupe humain d'essence économique délimité horizontalement, la classe, et à un groupe humain d'essence linguistique délimité verticalement, la nation ou ethnie.
Les faits économiques et les faits linguistiques (et les faits amoureux) ne sont pas produits les uns par les autres, mais sont des activités fondamentales de l'espèce humaine.
Chacun de ces aspects de la réalité humaine pose des problèmes spécifiques, mais liés entre eux, dont les solutions ne peuvent pas plus être déduites les unes des autres que trouvées isolément.
Cela suppose un relativisme humaniste, un humanisme scientifique, dont la sociologie marxiste (révisée par l'étude de l'évolution sociale des cent dernières années) est l'un des piliers fondamentaux, avec l'ethnologie d'une part, la psycho-physiologie et la parapsychologie d'autre part, et qui, mieux que des a priori dogmatiques du matérialisme et du spiritualisme, peut s'accommoder d'un énergétisme cosmique et d'un agnosticisme.

DEFINITION DE LA NATION

La nation est l'ensemble des hommes.

  1. parlant, ou ayant parlé, une même langue, c'est-à-dire entre lesquels existe l'intercompréhension provenant de similitudes phonologiques, grammaticales et lexicales.
    Il n'y a pas deux individus parlant exactement pareil; dans les limites où les variantes individuelles, locales, régionales, n'empêchent pas l'intercompréhension, existe l'unité linguistique, le " groupe de parlers apparentés ", l'ethnie. On ne peut s'étonner que le principe d'intercompréhension n'ait pas cette rigueur mathématique dont sont dépourvues les sciences humaines.

  2. habitant, ou ayant habité, un même territoire, c'est-à-dire une partie de la surface terrestre, ou contiguë, ou dont les parties sont reliées entre elles par la mer. La mer plus qu'une barrière est un lien; la considérer comme une rupture de l'unité territoriale signifierait par exemple qu'il existe nécessairement autant de nations que d'îles danoises, grecques, japonaises, polynésiennes, et que les Turcs de Thrace et d'Anatolie forment deux nations différentes.
    Le territoire ne correspond pas obligatoirement à des limites naturelles (par exemple, celles-ci sont inexistantes depuis le nord de la France jusqu'à l'Oural), et il n'est appréciable que par l'indice linguistique. La langue a seule une valeur d'indice permettant de déterminer pratiquement quand et jusqu'où il y a nation.

LANGAGE ET PENSEE

Les êtres humains sont des êtres sociaux; une société n'existe pas sans cette fonction fondamentale, cette force socialisante: la communication entre ses membres, le langage. Le système de communication dans l'espèce humaine est essentiellement le langage parlé.
L'être humain n'a d'abord que des sensations, de même que les animaux; le langage humain est le moyen de transmettre, de rendre sensibles aux autres, ses propres sensations grâce à un système de sons et par l'intermédiaire de la parole et de l'ouïe. La parole est la caractéristique déterminante de l'espèce humaine.
La pensée est le langage intérieur, la reproduction ultérieure du dialogue par les phénomènes de la mémoire et de l'imagination. Il n'y a pas de pensée " pure ", isolée, qui serait autre chose qu'un dialogue réel ou imaginé au moyen d'un système linguistique déterminé, lui-même appris par appartenance à une société déterminée.
Les idées sont à la fois prise de conscience de sensations, et invitation à agir, et déterminent ainsi le comportement humain. La parole, son idée, est une force matérielle considérable.
L'écriture est la communication des sons-idées par un système de signes tracés.

LA LANGUE, INDICE SYNTHETIQUE

Les groupes humains ont adopté des systèmes de sons différents, des langues différentes, pour communiquer leurs sensations, en raison d'une part des influences géographiques existantes, d'autre part de leurs tendances raciales. Les caractères raciaux psychosomatiques sont eux-mêmes le produit des influences géographiques qui peuvent avoir été historiquement autres que les actuelles. Les grammaires et les vocabulaires sont en rapport avec les faits économiques et sociaux, lesquels dépendent à leur tour des influences géographiques et raciales.
L'indice linguistique est ainsi l'expression d'une différenciation de tempérament et de mentalité, le résultat synthétique du développement racial, social, économique et politique de l'humanité qui s'est opéré de façon diverse suivant les territoires.
Il y a par exemple en ce qui concerne la Polynésie des rapports étroits entre les conditions géographiques (climat, richesses naturelles...), un certain état des techniques, certaines caractéristiques raciales, le tempérament doux, spontané, nonchalant des Polynésiens, une phonologie à forte prédominance vocalique et sans groupes consonantiques, certaines caractéristiques grammaticales, la faible hiérarchisation sociale, la faible religiosité, et une organisation familiale admettant la liberté des enfants et la liberté sexuelle. La surpopulation amenant famines et guerres périodiques, un certain rythme saccadé de prononciation, l'existence de castes faiblement privilégiées, etc., constituent, ou constituaient, l'autre aspect de la réalité polynésienne.
Les nations ne correspondent à peu près jamais à des races pures, mais elles forment des composés raciaux relativement stables. Par race on ne doit pas entendre uniquement l'ensemble des caractères anatomiques des individus, mais plus encore leurs caractères biochimiques, c'est-à-dire la composition de leur sang et de leurs humeurs.
A ces caractéristiques biochimiques (et à des caractéristiques bio-électriques dont on ignore presque tout), sont étroitement liés des comportements, des tendances, des aptitudes spécifiques, c'est-à-dire ce qu'on a l'habitude d'appeler des caractéristiques psychiques et qui sont en réalité psycho-physiologiques.
Cette nouvelle anthropologie est encore beaucoup trop embryonnaire pour que l'on puisse en tirer des conclusions sociologiques précises. De toute façon, il faut souligner que depuis de très anciens temps préhistoriques, les races ne forment plus des groupes humains concrets, mais se sont mélangées pour former des ethnies. Il existe seulement des caractéristiques raciales dont la répartition statistique varie selon les territoires, selon les ethnies. Les races n'ont d'importance qu'au travers des ethnies, par les langues et les civilisations qu'elles influencent.
Il faut s'apercevoir que l'explication technico-économique de l'histoire n'en est évidemment pas une, tout au moins prise isolément; car si la structure sociale, et donc les superstructures idéologiques, dépendent de l'état des techniques, l'invention et l'adoption des techniques ainsi que la découverte scientifique ne peuvent elles-mêmes être causées que soit par l'action d'un principe spirituel, soit par les influences du milieu géographique et de la race sur les capacités et, activités individuelles.
On ne sort pas de l'idéalisme tant qu'on n'admet pas que l'histoire résulte: des influences présentes du milieu naturel, de ces mêmes influences passées perpétuées par les caractères raciaux et les connaissances et institutions sociales, enfin des rapports entre groupes humains rendus différents par ces influences. Plus exactement l'histoire résulte de l'action de ces forces d'une part, des tendances et besoins propres à l'espèce humaine, d'autre part. Mais si l'on admet l'unité originelle de celle-ci, ces tendances et besoins fondamentaux étaient identiques à l'origine chez tous les hommes, le demeurent tant qu'une nouvelle espèce n'est pas issue de l'espèce humaine, et les différentes manifestations de ces tendances, leurs nuances, ne peuvent provenir que de l'action diversifiante du milieu. C'est selon ce conditionnement naturel que se manifeste différemment la créativité humaine. Et c'est seulement en l'insérant dans ce cadre, et en l'adaptant en conséquence, que demeure valable le schéma historique marxiste.
Il existe d'une part les conditions géographiques propres à chaque pays: nature des sols et des sous-sols, relief, hydrographie, climat, flore, faune, et d'autre part les tendances et besoins communs à l'espèce humaine toute entière: besoins économiques, amoureux, intellectuels. Les besoins économiques (alimentation, habitation, vêtement) sont plus ou moins grands selon les climats, et plus ou moins faciles à satisfaire selon les richesses naturelles et le nombre des hommes.

Les besoins amoureux sont également plus ou moins grands et plus ou moins précoces selon les climats mais à l'inverse des besoins économiques, d'autant plus impérieux qu'il fait plus chaud (l'érotisation dépendant en particulier de l'intensité des radiations d'orgone émises par le soleil); leur satisfaction dépend aussi du "sex-ratio" particulier à chaque race.

En conséquence dans les pays plus froids, les désirs de connaissance se porteront davantage vers la connaissance de la matière (de la nature non-humaine), et dans les pays plus chauds ces désirs se porteront plutôt vers la connaissance de l'homme. En outre, les activités intellectuelles seront plus difficiles dans les pays aux climats excessifs.

Il ne s'agit là que de quelques exemples approximatifs, mais on doit en réalité rechercher quelles sont les grandes influences qui ont créé pour chaque nation ce qu'on appelle le caractère national, et l'expression objective de ce dernier, la culture nationale.
On doit créer une véritable psychologie ethnique

LES AUTRES CARACTERISTIQUES DE LA NATION

La nation possède une culture, une vie économique commune un état, une conscience ethnique. Cela est exact si l'on admet que ces termes peuvent recouvrir des réalités diverses et n'ont aucune valeur indicative du fait national.

Une civilisation, une culture, est un ensemble de connaissances, de techniques, d'idées, de productions littéraires et artistiques, ainsi qu'une certaine organisation des rapports entre classes entre sexes et entre générations. Il serait d'ailleurs préférable d'employer le terme culture uniquement dans son sens étroit: ensemble des productions littéraires et artistiques, et d'utiliser civilisation pour parler de la culture au sens global.
La nation a une civilisation; on pourrait presque dire que la nation est une civilisation, et aussi que toute civilisation est un fait national, mais une civilisation est un ensemble trop vague, trop difficile à apprécier exactement, de même que la race, pour pouvoir être utilisé autrement que par l'intermédiaire de la langue qui l'exprime.
La nation est soumise à certaines conditions économiques communes; cela ressort de la communauté territoriale et de la communauté culturelle, qui impliquent une certaine unité des techniques et des structures sociales. Chaque nation possède sa propre structure économico-sociale. On peut certes parler du capitalisme ou du socialisme en général, mais seulement jusqu'à un certain point.
Les capitalismes anglo-américain, français, allemand, portugais, japonais, d'une part, les socialismes russe, chinois, serbo-croate, d'autre part, ont suffisamment de traits communs pour qu'on puisse les ranger sous une même étiquette, mais ils ont également un grand nombre de traits différents qui font de ces régimes des réalités différentes. Les transformations et révolutions dans un pays ne sont jamais exactement le calque de ce qui s'est fait ailleurs, parce que subsistent des éléments différents d'un ordre ancien différent, parce qu'il existe des nuances dans les innovations apportées, parce que des facteurs permanents feront réapparaître certains traits momentanément et superficiellement supprimés.
Mais il ne faut cependant pas croire que la communauté de traits économiques au sein d'une ethnie suppose nécessairement l'existence d'un marché national relativement fermé (ce qui reviendrait d'ailleurs à dire que l'existence de la nation suppose l'existence de l'état national). Si cela était, il n'y aurait jamais eu que très peu de nations, et toutes les nations englobées actuellement dans de plus vastes marchés auraient perdu toute existence. Il est évident que la Pologne a pu pendant des siècles avoir une économie féodale, puis être coupée en trois marchés " nationaux " pendant tout le XIXe siècle, et n'a cependant pas attendu 1918 pour former une des nations les plus vigoureuses d'Europe.
Si l'on mettait " unité de planification " au lieu de " marché national ", il n'y aurait plus alors qu'une seule nation en U.R.S.S., tandis que l'Allemagne orientale et l'Azerbaidjan soviétique seraient des nations différentes de l'Allemagne occidentale et l'Azerbaidjan annexé à l'état persan.

Il est seulement exact de dire que la nation tend à constituer une unité économique cohérente.
De même l'ethnie tend à constituer une unité politique; cette tendance à l'unité politique peut aller jusqu'à un état centralisé moderne, se réduire dans des sociétés anarchiques à quelques institutions culturelles et à une simple prééminence de personnages influents, ou même faire complètement défaut, ceci en général pour des causes extérieures.
Il existe des états nationaux et des états uniquement de classe. Un état est toujours l'expression des intérêts d'une ou de plusieurs classes (ou d'une fraction de classe) d'une certaine nation. Mais il est également, ou n'est pas, l'expression de la conscience qu'a un peuple d'appartenir a une communauté culturelle et l'expression des intérêts de ce peuple vis-à-vis des autres peuples. Par exemple, l'état luxembourgeois est simplement l'organe d'une fraction locale de la bourgeoisie allemande qui estime avoir intérêt à conserver un état particulier. Le Pakistan exprime uniquement les intérêts des grands propriétaires fonciers et d'une caste cléricale, conjugués avec ceux de la bourgeoisie impérialiste anglo-américaine.

Tandis que les états tchécoslovaque et roumain d'avant-guerre représentaient certes les intérêts des bourgeois et des féodaux indigènes, mais exprimaient aussi les consciences nationales tchécoslovaque et roumaine, et dans une certaine mesure défendaient les intérêts nationaux tchécoslovaques et roumains.
L'état est le produit de rapports de force entre nations, entre classes, et même entre groupes et cliques divers. Même stable, comme le sont ou l'étaient la Suisse, l'Autriche-Hongrie, l'U.R.S.S., Monaco, l'Uruguay, l'état n'est pas un indice permanent de la nation.
La communauté ethnique (linguistique et culturelle) est un fait d'une telle importance dans la vie humaine que ses membres ne peuvent pas ne pas en avoir conscience. Cette conscience nationale peut être plus ou moins développée, aller d'un subconscient collectif à une véritable conscience ethnique pleinement développée, d'une part selon des causes extérieures (invasions, assimilations), d'autre part selon l'intensité des rapports économiques et culturels à l'intérieur de la nation, enfin selon des influences de classe.
Il est certain qu'à ses origines toute nationalité a eu une " histoire commune ", mais on ne peut faire de cette communauté historique un indice permanent de la nation.

Il faudrait pour cela que l'unité nationale soit toujours donnée, et non point à parfaire ou à refaire, c'est-à-dire que les impérialismes n'existent pas, ou tout au moins qu'ils prennent soin de traiter de façon identique toutes les fractions d'une même nation. Les actions impérialistes, les variantes locales ou régionales des événements historiques, apportent certes des atteintes plus ou moins profondes à l'homogénéité nationale, mais demeurent secondaires tant qu'elles n'ont pas changé radicalement le caractère linguistique et racial de la population considérée. Les multiples et contradictoires accidents historiques ne peuvent servir de critère distinctif de la nationalité.

REGIONS ET FAMILLES ETHNIQUES

A l'intérieur de chaque nation existent les subdivisions que sont les régions. La région est essentiellement une notion de géographie physique et économique; les nuances dialectales, culturelles, raciales, qui peuvent également la caractériser sont trop faibles pour jouer un rôle déterminant. Il n'y a pas de vie intellectuelle indépendante de la région, ni de conscience régionale, parce que aucun des trois faits fondamentaux de la vie individuelle (situation dans les rapports de production, communication linguistique, rapports amoureux et familiaux) n'est profondément affecté par l'appartenance régionale. Les diversités régionales pour secondaires qu'elles soient, posent le problème assez peu important, mais réel, de la décentralisation, d'un certain fédéralisme, au sein de la nation.

Entre les diverses nations existe une ressemblance une parenté plus ou moins étroite. Il existe ainsi des familles ethnolinguistiques telles que les peuples latins ou sémites, et des familles de familles telles que les Indo-Européens ou les Kamito-Sémites. Il ne faut d'ailleurs pas surestimer l'importance de ces ressemblances d'ordre génétique, car une langue peut également avoir de profondes ressemblances avec une langue d'origine différente en raison de toutes sortes d'influences convergentes.
Il existe également des parentés de civilisation ne coïncidant pas avec les parentés linguistiques; il peut ainsi y avoir des faits techniques, sociaux ou religieux, dont l'extension ne correspond pas avec les familles linguistiques, et qui sont autant de liens entre des nations ethniquement très différentes.

NAISSANCE, EVOLUTION ET MORT DES NATIONS

Les nations comme tout organisme vivant ne sont ni éternelles ni immuables; elles naissent, se transforment, puis meurent ou se perpétuent.
La naissance, l'évolution et la mort des nations dépendent:

  1. de facteurs géographiques,

  2. de facteurs internes: composition raciale, natalité et mortalité, invention et adoption des techniques, luttes sociales et politiques, création et diffusion des idéologies,

  3. de facteurs externes: rapports de force avec les autres nations, et influences raciales, économiques et culturelles de ces nations.

Tous ces facteurs agissent et réagissent les uns sur les autres. Trois d'entre eux sont particulièrement importants : les moyens matériels de communication, l'évolution démographique et la surpopulation qui peut en résulter (laquelle est toujours relative aux forces productives et à la structure sociale données), les rapports de force entre nations.

La naissance d'une nation a toujours pour origine un mouvement de population. Une émigration ou une immigration, une scission au sein d'une ethnie déjà existante. Les deux tronçons ainsi formés peuvent être soumis à des influences géographiques différentes, à des influences étrangères (raciales en particulier) différentes; les relations entre les deux groupes peuvent être rompues. On peut ainsi aboutir à la rupture de l'unité ethnique, et à la formation de deux ou plusieurs langues, de deux ou plusieurs nations différentes.
A partir d'une probable (mais non certaine) unité originelle, l'humanité a ainsi abouti à son actuelle composition ethnique, par scissiparités successives au cours des nombreux millénaires qu'a duré le peuplement de la terre. Les parentés plus ou moins éloignées entre les diverses langues sont le résultat de ce développement historique.
Une fois constituée, la nation évolue, principalement dans sa structure sociale et dans l'ensemble de sa civilisation. Une caractéristique essentielle de l'évolution de la nation est la tendance à l'unité, à l'homogénéité, à une plus pleine existence, mais les divers aspects de la nation peuvent ne pas évoluer simultanément, et cette évolution peut comporter des régressions momentanées.
Lorsque une nouvelle ethnie apparaît au milieu de la décomposition anarchique de l'unité précédente, son état linguistique est le plus souvent celui du groupe de parlers apparentés: tel était par exemple l'état de l'ethnie française après l'éclatement de l'unité latine. Lorsque au sein de ce groupe de parlers se forme une langue commune (qui devient en même temps langue littéraire), on peut considérer que l'on passé de la " nationalité " à la nation. La langue commune n'apparaît jamais spontanément dans toute la nation: elle est l'&brkbar;uvre plus ou moins consciente de classes dirigeantes ou de groupes intellectuels. Elle n'est jamais exactement le dialecte maternel d'une fraction locale de la population, mais à des degrés divers une combinaison des différents dialectes; elle se forme sur la base des dialectes centraux plus ou moins modifiés par des traits des dialectes périphériques: l'italien est ainsi du toscan modifié, le serbo-croate du bosniaque modifié. Certaines langues comme le français se rattachent plus étroitement au dialecte central, tandis que d'autres comme l'allemand sont davantage une combinaison entre les divers dialectes.

Un exemple de régression momentanée est celui des dialectes grecs qui ont fourni une première langue commune, laquelle a ensuite régressé au stade dialectal, avant que n'apparaisse récemment une seconde langue commune.
Le terme de nationalité peut aussi s'appliquer à une ethnie n'ayant pas encore réalisé, ou ayant perdu son unité et son indépendance politiques. Les Norvégiens, les Bulgares, les Hébreux, les Birmans, sont parmi les nombreux peuples ayant formé leur état national, et qui ont perdu, puis reconquis, leur unité politique.

L'évolution linguistique interfère avec l'évolution économique, sociale et politique, mais ne coïncide pas purement et simplement: la langue commune italienne existe depuis la fin du Moyen-Age, mais l'unité politique s'est faite à la fin du XIXe siècle.
Des nations possédant leur langue commune, jouissant d'un haut degré de développement économique et culturel, n'ont pas réalisé, ou ont perdu, leur unité politique; telle est l'ethnie de langue allemande, et telle est l'ethnie de langue anglaise. Alors que des nations arriérées économiquement telles que la Chine d'avant 1950, le Japon d'avant 1868, avaient approximativement leur langue commune et nettement leur état national depuis des siècles ou des millénaires.
La mort d'une ethnie peut survenir par évolution divergente et scission, ou par destruction pure et simple.

Dans le premier cas sont l'ethnie slave, l'ethnie latine, dont la disparition a créé de nouvelles nations. Dans le second cas sont les Sumériens, les Gaulois, les Dalmates, les Tasmaniens, les Vieux-Prussiens.

Une nation n'existe plus lorsque sa langue a complètement disparu de l'usage populaire parlé. Cependant, si une langue abandonnée pour l'usage courant continue d'être habituellement utilisée comme langue savante, comme langue culturelle, et si cette langue n'a pas, par ailleurs, produit de nouvelles langues nationales, elle continue d'être le support d'une ethnie qui peut être animée d'une vigoureuse conscience nationale. Tel est le cas des Hébreux, des Egyptiens-Coptes.
La perte du territoire national et la dispersion des membres de la nation est un très grave facteur de désagrégation, mais ne signifie pas obligatoirement la mort de la nation, comme le montre encore l'exemple hébreu. Dans de tels cas, l'existence d'une idéologie nationale (religieuse ou autre) et la force culturelle de celle-ci jouent un rôle souvent important dans la conservation de la nation, mais non point indispensable comme le prouve la survie des Mordves et mieux encore celle des Tziganes, fraction dispersée de l'ethnie cachmirienne.

LES NATIONS A L'EPOQUE MODERNE

Depuis quelques siècles, à mesure que s'universalisent certaines caractéristiques communes des civilisations modernes, l'histoire des nations paraît être entrée dans une nouvelle phase, et l'on assiste à une évolution générale accélérée.

  1. Le peuplement de la Terre n'est pas totalement achevé, mais est en voie d'achèvement. Il n'y a presque plus de territoires vides; la surpopulation relative est plus restreinte; le métissage et les émigrations massives deviennent plus rares. En outre, les moyens de communication se sont infiniment améliorés et, en conséquence, les grandes émigrations lorsque elles se font n'entraînent pas une rupture des relations avec la mère-patrie. Le résultat est qu'il ne se forme plus de nouvelles ethnies.

  2. Toutes les ethnies acquièrent l'une après l'autre à une allure accélérée une cohésion de plus en plus grande dans tous les domaines. Les langues communes nationales se forment, l'unité économique se réalise l'indépendance et l'unité politiques s'obtiennent ou se conquièrent, l'état national se crée ou se concentre. Cette époque, qui est celle de la démystification universelle et de la prise de conscience par les hommes des réalités fondamentales de leur existence, est celle, en particulier, de la prise de conscience nationale.

Depuis cent cinquante ans, près de vingt nations européennes ont ainsi formé leur langue commune, ont conquis leur indépendance, ont renforcé leur conscience ethnique. Cette même tendance, cette vague de fond triomphe maintenant en Asie, gagne l'Afrique, commence d'apparaître en Amérique, en Europe occidentale, en Océanie.

Seuls des tenants d'un économisme dogmatique peuvent penser que la nation est une catégorie historique d'une certaine époque, de l'époque bourgeoise, un simple produit du capitalisme. Comment pourrait-on soutenir que les nations suédoise, russe, espagnole, coréenne, persane sont de simples conséquences du capitalisme, et que l'histoire de France commence en 1789 ou même à la Renaissance ?
Mais il est exact de dire que l'apparition de la civilisation industrielle, l'apparition des classes bourgeoise et ouvrière, le développement de l'instruction publique, le développement des relations entre groupes humains à l'échelle mondiale ont profondément transformé une réalité aussi ancienne que l'humanité.

A côté de nationalités déjà cohérentes et organisées en états indépendants dès l'époque féodale, de nationalités dont l'indépendance a été obtenue en liaison avec l'instauration du capitalisme, se développent maintenant des mouvements et des états nationaux étroitement liés au triomphe du socialisme. L'apparition de la structure sociale socialiste, caractérisée par une économie planifiée étatique et par le développement de la culture populaire, accentue encore cette évolution des ethnies toujours dans le même sens. Beaucoup plus encore que le XIXe siècle, le XXe est le siècle des nations.

Une question se pose cependant: lorsque les rapports de force entre nations auront été supprimés, lorsque les échanges pacifiques de tous ordres se seront développés, lorsque la société sans classes sera établie, se réaliserait-il ou non une fusion progressive des langues et des nations ?

On ne peut actuellement dire ni si cela se fera, ni si cela sera souhaitable. On peut supposer que dans l'affirmative, on assistera d'abord à la fusion des nations les plus apparentées linguistiquement, avant d'arriver par plusieurs étapes à la formation d'une langue et d'une nation mondiales.

On peut être sûr que les innombrables langues à prétention internationale récemment fabriquées (qui sont, en fait, des langues latino-germaniques et n'ont à peu près rien d'international) ne sont en aucune façon des préfigurations de cette éventuelle langue mondiale.
On doit encore dire qu'aucun fait ne va, pour le moment, dans ce sens. Il paraît très probable que les faits géographiques et raciaux ne seront jamais bouleversés et uniformisés à un tel point que soit possible et désirable cette mondialisation. Alors que les émigrations de masses tendent à disparaître, alors que la culture nationale s'intensifie au sein de chaque peuple alors que l'attachement à la langue maternelle se trouve renforcé par une vie culturelle et un sentiment national plus intenses, on ne voit pas comment une telle fusion pourrait se réaliser... si ce n'est par un gigantesque impérialisme.
On peut, au minimum, affirmer qu'il ne s'agit là pour de nombreux siècles que de spéculations gratuites et sans intérêt, dont la seule signification concrète est de masquer les réalités nationales et de servir ainsi tel ou tel impérialisme.
Il serait souhaitable que tous les humanistes, tous les progressistes se débarrassent une bonne fois des utopies, des illusions, des visions abstraites de l'homme; il serait bon qu'ils se décident à prendre la différenciation ethnique pour ce qu'elle est: une donnée fondamentale de la condition humaine.


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