DEBAT POUR OU CONTRE - 07

INTERNATIONALISME

Il ne peut y avoir aujourd'hui dans le domaine des sciences, et même dans le domaine économique, d'alternative à l'internationalisme et même au mondialisme, car les découvertes scientifiques et les décisions économiques sont prises à une échelle mondiale.

L'internationalisme veut dire inter-nations. L'inter-ethnisme est un internationalisme c'est-à-dire un dialogue entre ethnies, pour la recherche de solutions communautaires allant dans l'intérêt de tous. L'impérialisme, au contraire, c'est l'imposition de la volonté de certaines ethnies contre celle des autres, au détriment de leurs intérêts. J'espère que c'est clair. Les deux peuvent mener au mondialisme mais le résultat est différent.

MONDIALISME

Il existe un mouvement dit "mondialiste" qui défend le principe d'un monde uni. Pouvez-vous situer l'ethnisme par rapport à lui ?

Le mouvement mondialiste a beaucoup changé depuis ses débuts. Il apparaît au XIX siècle avec la révolution industrielle qui coïncide avec l'expansion de la race blanche. A cette époque, le mondialisme revendiquait l'universalisation du concept de progrès de la race blanche. Aujourd'hui, cette thèse est remplacée par une autre qui consiste à œuvrer pour la survie de l'espèce humaine en général. Le mondialisme d'aujourd'hui s'intéresse à la crise de l'énergie, à la surpopulation mondiale, à la pollution des mers, etc. Donc dans la mesure où de nombreux mondialistes se sont rendu compte que, pour favoriser une survie optimale de l'espèce humaine, la solution fédéraliste respectant les droits des peuples avec leurs différences était la meilleure. Je crois qu'il n'y a pas de divergence théorique fondamentale. Hélas, les thèses fédéralistes dissimulent une idéologie impérialiste : en effet, en cherchant à prouver la réalité de caractéristiques universelles à tous les hommes, le mondialisme diminue d'autant leur droit à la différence. Comme par hasard, ces fameuses "caractéristiques universelles" sont justement celles des ethnies dominantes : clarté, progrès, ordre, etc.

VIOLENCE ET TERRORISME

Face au discours ethniste, une question importante se profile : celle de la violence. Si la théorie ethniste peut être mise en question, c'est parce qu'elle justifie, d'une façon ou d'une autre, les mouvements autonomistes qui usent de la violence. Il va donc falloir, sans ambiguïté, prendre position par rapport à la violence créée par les minorités culturelles.

Vous avez raison, on ne peut pas, et on ne doit pas, débattre du problème ethnique en général en évitant de discuter sur la violence. Je dirais d'abord que chaque cas nécessite une analyse particulière mais qu'en règle générale, lorsque la violence est une résistance à l'oppression, elle devient légitime. C'est une contre-violence. Néanmoins, si l'élimination d'un état d'oppression peut être obtenue par d'autres moyens cela est préférable. L'action des autonomistes, c'est évident, doit varier selon les régimes : leur attitude ne peut être identique dans un pays soumis à une dictature militaire et un pays dont le régime est la démocratie parlementaire. Il faut condamner l'usage de la violence dans les pays où le suffrage universel et les voies légales permettent de combattre l'oppression. Ceci dit, souvent les apparences font croire que des conditions démocratiques sont réunies quand, en fait, elles ne le sont pas. Notons en passant que l'Ecosse a envoyé au Parlement anglais des députés autonomistes sans qu'il y ait eu recours à la violence.

Les actes terroristes des mouvements de libération en Europe sont le fait de peu d'individus. Il n'est donc pas possible d'en tirer des conclusions sociologiques ou de conclure à une quelconque volonté populaire.

Lorsqu'un individu décide de braver sa peur, sans le moindre mobile d'ordre lucratif, on peut supposer qu'il y en a cent autres, sinon pour agir comme lui, du moins pour le soutenir. J'en conclus que par exemple en Algérie avec le FLN, en Irlande avec l'IRA, en Corse avec le FLNC, s'il y a terrorisme, on ne peut accepter la version de "quelques individus isolés" sans lien avec la population. Le terrorisme autonomiste bénéficie toujours d'une assise populaire.

Mais vous n'allez tout de même pas jusqu'à justifier les actions terroristes dont la violence frappe des victimes civiles innocentes ?

La réponse n'est pas simple. Il ne faut pas mettre sur le même plan tous les actes de violence. Il existe une violence légitime qui est même inscrite dans les droits de l'homme : c'est le droit de se soulever contre une oppression. Lorsque pendant la guerre le Général de Gaulle ou Mitterand faisaient de la résistance, les Allemands et le gouvernement de Vichy les considéraient comme des terroristes; nous pouvons donc considérer que les mouvements autonomistes basques, bretons, corses et irlandais justifient leur action violente à partir du même raisonnement : ce sont des mouvements de libération qui luttent contre des peuples qui les oppriment.
Par ailleurs, contrairement à ce que les media tendent à faire croire, les actes des autonomistes en Europe qui font couler le sang d'innocentes victimes civiles, sont rares : sur plus de trois cents attentats en Corse en 1979  il n'y a pas eu un seul mort. D'autre part, selon que l'on juge la lutte entreprise par les autonomistes juste ou non et stratégiquement valable ou non, on considérera que les victimes innocentes comme faisant partie, ainsi que dans tout conflit, des risques de guerre dans un cas, ou de la preuve, de l'horreur et de l'inconséquence des actes autonomistes dans l'autre cas.

Enfin, la violence a parfois un effet positif de révélateur d'une conscience nationale endormie; ce n'est pas parce qu'on aura écrit mille livres sur les droits des Esquimaux à chasser sur leurs terres, que cela empêchera une multinationale de venir les leur confisquer. Par contre une bombe peut faire avancer la cause des Esquimaux en mettant le problème face à l'opinion publique.

Le terrorisme contient le mot terreur. Pourquoi terroriser?

Jamais aucun groupe autonomiste ou de libération nationale ne s'est appelé terroriste. Ce sont les Etats oppresseurs et leur presse qui les qualifient ainsi. En réalité, les autonomistes se considèrent généralement comme des combattants.

STRATEGIE DE LA VIOLENCE

Pouvez-vous me dire s'il vous semble envisageable que les ethnies minoritaires puissent un jour se concerter et développer ensemble une stratégie commune ?

Aujourd'hui, les minorités culturelles usent de la violence d'une manière instinctive et solitaire, mais il n'est pas exclu qu'une stratégie inter-ethnique se développe. Philipo Gonzales, président du Parti Socialiste espagnol, a proposé dernièrement une conférence internationale anti-terroriste, ce qui revient à dire que les Etats impérialistes se réunissent pour écraser les différentes minorités. La réponse ne peut être alors qu'une internationale ethniste.

MINORITES

En démocratie les décisions sont prises à la majorité, les minorités culturelles étant comme leur appellation l'indique, des minorités, ne pensez-vous pas qu'elles devraient se plier à la règle de la majorité ?

Le terme minorité est tout à fait inadéquat quand on parle de peuples. Les Basques sont autant une minorité que les Français ou les Allemands. En fait, seule l'ethnie chinoise peut se considérer comme une majorité.
Aucun peuple n'est minoritaire sur son propre territoire.

SUFFRAGE UNIVERSEL

Ne peut-on concevoir un pays démocratique acceptant le verdict du suffrage universel et admettant une autonomie culturelle, économique voire politique pour ses minorités ?

J'imagine mal les dirigeants d'un Etat impérialiste cédant le pouvoir de leur propre gré. L'expérience historique du fonctionnement de la démocratie nous montre qu'en ce qui concerne les revendications des minorités culturelles, un escamotage a presque toujours lieu pour empêcher qu'elles s'expriment. Le blocage est bureaucratique et culturel, la règle de la majorité interdisant par exemple en France l'usage de toute autre langue que le français, etc.

Autre exemple : comment la Corses (ou la Nouvelle-Calédonie) voterait-elle en faveur des autonomistes alors qu'on a vidé ce pays de la moitié de ses vrais habitants, les individus de culture corse.

TERRORISME EN EUROPE

Vous semblez penser que les pouvoirs centraux en Angleterre, en Espagne et en France ont, sinon un plan précis, du moins une volonté délibérée de combattre le courant ethniste.

Peut-être pas de plan précis, mais une volonté farouche de défendre leurs intérêts. Aucun pouvoir politique central ne choisit l'attentisme face à la montée des revendications ethnistes. Toute une série de mesures est prise pour combattre les velléités d'autonomie, mesures de tous ordres qui concernent aussi bien l'information que l'enseignement. Dans le domaine de l'éducation, l'oubli pur et simple des langues minoritaires agit comme une mesure de prévention. Il y a aussi l'entrisme, qui consiste à nayauter par des indicateurs et par les services secrets, les associations ethnistes. Cette méthode a bien réussi aux Etats-Unis où les Black Panthers ont été noyautées. Enfin, il y a la répression directe, physique à la façon du Gal ou des Barbouzes. Mais je rappelle que, pour chaque ethnie, la situation est particulière.

TERRORISME DES EXTREMES

Pourquoi reconnaissez-vous aux autonomistes le droit de lutter alors que vous le récusez pour les mouvements gauchistes, tels que la Bande à Baader, les Brigades Rouges, etc. ?

Ce que je récuse surtout chez ces derniers, c'est le manque de clarté qui précède leurs actions ainsi que la confusion générale de leurs motivations. J'irais même jusqu'à dire que les terrorismes (d'extrême droite et d'extrême gauche) sont souvent louches, leur assise théorique étant rarement claire. Ils pourraient être des terrorismes manipulés par des Etats. Tous les scénarios sont possibles, d'autant que leur activité n'est pas reliée à la population contrairement aux autonomistes.

MEDIA ET VIOLENCE

Quelle solution concrète envisagez-vous pour enrayer la multiplication des actes terroristes ?

Je crois à d'autres solutions que la répression physique, et pour commencer, toute action terroriste contient un désir de communication : la preuve en est que, très souvent, l'une des exigences des terroristes est la diffusion par la presse et les media de leur message idéologique. Les terroristes revendiquent le droit à la parole et, à tort ou a raison, ont le sentiment qu'on le leur refuse. Il ne faut pas oublier que le terrorisme autonomiste a l'impression qu'il subit une grave injustice. A partir d'une telle analyse, de nombreuses actions terroristes pourraient être désamorcées grâce aux media, c'est-à-dire en permettant le débat, ce qui d'ailleurs ne serait pas inintéressant.

Mais dans quelles conditions condamnez-vous le terrorisme ?

Personne ne peut être pour la violence en soi. Ce que je dis, c'est que toute violence vient de quelque part; il faut, avant tout verdict, comprendre ce que l'on veut condamner mais l'information étant partiale, je condamne tout d'abord la manière dont les media traitent la violence, réalisant avec malhonnêteté un amalgame tel que, sous le même titre "le terrorisme aveugle" il puisse être question des Brigades Rouges, des Basques et d'Action Directe : les media portent une grande responsabilité dans l'engrenage de la violence.

Que peut-on faire pour changer la qualité des informations sur la violence ?

Il faut éliminer l'hypocrisie et le mensonge qui existent. Car il y a hypocrisie à parler, d'un côté, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (à propos des Afghans, des Polonais, etc) et, d'un autre côté, à fouler au pied ce même droit dès qu'il s'agit de peuples en minorité à l'intérieur de ses propres frontières (Occitans, Bretons, etc). Il y a hypocrisie à traiter certains de glorieux résistants et d'autres de bandis de grands chemins. Il y a hypocrisie à parler de suffrage universel tout en rendant l'expression autonomiste impossible dans ce cadre (refus de l'accès aux media). Il y a hypocrisie à proposer d'avoir recours à l'autodétermination et au referendum après avoir implanté sur le territoire une population extérieure plus nombreuse que la population autochtone. Il y a hypocrisie à amalgamer les violences des actions gauchistes et des actions autonomistes. Bref, tant que le pouvoir n'acceptera pas un débat honnête, il y a peu d'espoir d'arrêter les causes réelles de la violence qui va en s'accentuant.

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