LE KURDISTAN (1987)

Le Kurdistan n'a pas de frontières, c'est un pays qui n'existe plus sur les cartes géographiques où il était indiqué du temps de l'empire ottoman. Actuellement, seule est appelée « Kurdistan » une partie des provinces kurdes de l'Iran.
En fait, le Kurdistan est à cheval sur 5 pays et regroupe 20 millions de Kurdes ; en Turquie, on les appelle les « Turcs de la montagne » et leur terre, la « province orientale ». Ils sont 10 millions, on compte 1 Kurde pour 4 Turcs. En Irak ils vivent dans le "Nord", sont environ 3.800.000, soit 1 Kurde pour 3 Irakiens, le gouvernement essaie d'effacer leur histoire récente ; tous les livres mentionnant le nom de Kurdistan ont été détruits. En Syrie, ils sont 1 million regroupés dans la province de Djezira. En Iran, le gouvernement appelle les provinces kurdes la « région occidentale » ; ils y sont 6 millions, soit 1 Kurde pour 5 Iraniens. 320 000 Kurdes vivent aussi en URSS principalement en Arménie soviétique où leurs droits linguistiques et culturels sont reconnus.

Estimagion de la population kurde et pourcentage par rapport à la population totale.

Turquie 10 000 000 (24 %)
Iran 6 000 000 (16 %)
Irak 3 000 000 (27 %)
Syrie 800 000 (9 %)
URSS 350 000 (0,2 %)
Total 20 950 000

Les Kurdes sont une population de montagnards qui occupe depuis l'Antiquité une vaste zone, le Kurdistan, qui s'étend des monts Aurus, à l'ouest du plateau iranien et de la région du mont Ararat jusqu'au pied où s'élève la plaine de Mésopotamie. Ils parlent une langue indo-européenne du groupe iranien.
Leur langue est très vivante, puisque beaucoup d'entre eux sont monolingues kurdes, elle est l'élément primordial de leur identité. Ils sont musulmans sunnites de type chaféite ce qui les différencie de tous leurs voisins.
L'empire ottoman était très étendu, pendant longtemps, Turcs et Kurdes vivent en bonne intelligence ; à la fin du siècle dernier, la Sublime Porte cherche à dominer les Kurdes en rognant leurs prérogatives ; cela entraine les premières révoltes en 1826, 1834, 1853, 1855, 1880 ; elles sont simplement des révoltes contre une autorité qui empiète sur les droits acquis. C'est en 1898 que pour la première fois une presse kurde voit le jour.
Mustapha Kemal mènera sa lutte d'indépendance aidé par les Kurdes. Après le traité de Sèvres, l'empire ottoman est démantelé ; l'Irak se voit attribuer les villages kurdes de Mossoul. En fait la Grande Bretagne avait un mandat sur l'Irak et elle était très intéressée par les réserves de pétrole de Mossoul. Dans le tracé de frontière franco-syrienne, la France, mandataire de la Syrie, intègre 3 zones de peuplement kurde : Djezira, Kurd-Dagh, Arab-Pinar.
La division du peuple kurde est consommée. Quelles vont être les attitudes des divers pays vis à vis des minorités kurdes ?

En Turquie : dès 1924, la Turquie interdit l'enseignement du kurde et la loi turque précise que : les partis de minorités ne peuvent prétendre à l'existence, sur le sol turc, et viser ainsi à la destruction de l'unité nationale. Trois grandes révoltes en 1925, 1930 et 1955, privent les Kurdes de tout droit. Plusieurs milliers d'entre eux sont déportés en Anatolie, leurs chefs sont exécutés. Il fallut plus de 2 ans à l'armée turque pour prendre Dersimou ; la résistance populaire kurde résista à 3 corps d'armée. La répression fut d'autant plus violente qu'elle avait coûté cher en hommes et en matériel. D'après le P.C. de Turquie de 1924 à 1938 il y eût plus de 1,5 million de Kurdes déportés ou massacrés.
Le régime progressiste d'Ankara déclara "le pays au-delà de l'Euphrate" en État de siège jusqu'en 1950. Il fut interdit aux étrangers jusqu'en 1965.

En Iran : plusieurs révoltes ont lieu contre Reza Chah qui veut instaurer un État centralisé, quand en 1941, les Anglais et les Russes inquiets des amitiés de ce dernier avec l'Axe envahissent l'Iran. Azerbaïdjanais et Kurdes s'organisent. Ils proclament en 1945, la république de Mohabad, elle durera un an jusqu'à ce que les troupes du Chah y pénètrent et exécutent les dirigeants ; Mustapha Barzani et une centaine d'hommes se réfugient en URSS.

En Syrie : depuis son accession à l'indépendance en 1946, même si elle ne reconnaissait pas de droit aux Kurdes en tant que minorité nationale, la Syrie n'a pas été vraiment oppressive jusqu'en 1961. En effet, la langue kurde était admise, des publications circulaient et, si l'école était faite en arabe, nombre d'abécédaires en kurde étaient utilisés. En 1961, on commence à accuser les Kurdes de menées contre l'arabisme. En 1962, le gouvernement lance le plan dit de "la ceinture arabe" prévoyant d'expulser toute la population kurde de la région de Djazira le long de la frontière turque et de la remplacer par des Arabes. La découverte de pétrole à Karatchok n'est certainement pas étrangère à cette politique. Les Kurdes de cette région, recensés, se sont vu retirer tous les droits afférents à la citoyenneté syrienne. 120 000 doivent alors être établis au sud de façon dispersée. Cette politique un moment en sommeil, sera relancée en 1967.

En Irak : dès 1922, le gouvernement reconnaît aux Kurdes le droit de se constituer en gouvernement à l'intérieur des frontières irakiennes. L'Irak obtient son indépendance nominale en 1931, mais il faudra attendre la révolution de 1958 pour que cet État se débarrasse de la domination anglaise. En 1943, on assiste à une révolte organisée des Kurdes, car les promesses ne sont pas tenues ; en 1945, une grande partie d'entre eux passe en Iran lors de la république du Moabad. La révolution de 1958 définit l'Irak comme le pays de deux peuples, arabe et kurde. A ce moment là, Mustapha Barzani rentre d'URSS. En 1968, les Kurdes se rendentt autonomes au sein de la république ; de 1961 à 1968, la lutte des Kurdes entraîne la chute de quatre régimes avant que la tendance actuelle du Baas prenne le pouvoir ; en 1970 une paix est signée et le gouvernement s'engage à donner l'autonomie à toutes les régions à majorité kurde après recensement. Le recensement ne sera jamais fait (il était décisif pour la région pétrolière de Kirkouk). Une région autonome leur sera attribuée de façon unilatérale et sans pouvoir réel.
En 1974, la guerre reprend sous l'impulsion du vieux leader charismatique Mustapha Barzani, soutenu par l'Iran mais en 1975, l'Iran et l'Irak signent l'accord d'Alger, le mouvement de Barzani choisit de se rendre. A partir de ce moment l'Irak adopte une politique d'arabisation dans les régions kurdes pétrolières et frontalières ; une centaine de milliers de Kurdes sont déplacés vers le sud ou vers la région "autonome". En 1976, Saddam Hussein fait connaître un nouveau programme qui sera appliqué jusqu'à la guerre Iran-Irak ; sur 20 km de large aux frontières soit 3 fois la superficie du Liban, les villages seront détruits au bulldozer, les sources bouchées, les cultures détruites. 1 500 villages seront supprimés ; les Kurdes seront dispersés par petits groupes dans des villages arabes ou regroupés en grand nombre dans les "villages stratégiques", véritables camps de concentration.

Aujourd'hui les Kurdes au Kurdistan

Actuellement, quel que soit le pays dans lequel ils vivent, les Kurdes sont dans des situations très difficiles mais ils se battent avec acharnement et de façon très organisée.
Les guerres du Proche Orient les opposent parfois ; ainsi en Irak, le Parti démocratique du Kurdistan d'Irak, dont le chef est le fils du légendaire Mustapha Barzani, qui lutte pour l'indépendance kurde n'hésite pas à s'allier à l'Iran komeiniste risquant de commettre les mêmes erreurs que son père qui fut écrasé à la suite du non respect de l'alliance qu'il avait faite avec le Chah Reza Palevi. Il est opposé en cela à l'Union Patriotique du Kurdistan qui se bat pour l'autodétermination, refuse de prendre parti dans le conflit. Monsieur Talabani affirme : "Laissez les oppresseurs se battre contre les oppresseurs, si les Iraniens attaquent les postes irakiens, nous laisserons faire... mais si les Iraniens attaquent la zone que nous contrôlons, nous la défendrons". La montagne unit les Kurdes d'Irak et d'Iran. Le Kurdistan d'Iran est contrôlé par le Parti démocratique d'Iran créé en 1946 et par le récent Komala (communiste). En 1979, les relations étaient bonnes avec Khomeiny, les Kurdes avaient participé, les armes à la main au renversement du Chah ; les négociations avec le nouveau pouvoir de Téhéran se soldèrent par un échec, Khomeiny réclamant le calme au Kurdistan, les Kurdes et leurs mollahs, l'autonomie. La guerre frontale qui suivra sera un échec pour les Kurdes en 1984.
Depuis les combattants kurdes se sont réorganisés et adoptent la technique de la guérilla. Ce sont 12 000 Peshmergas du PDKI et 3 000 du Komala qui contrôlent actuellement 70 % du Kurdistan iranien. La vie s'est réorganisée, actuellement fonctionnent 300 écoles en kurde, plusieurs hôpitaux de campagne, une administration liée aux conseils de villages et à la justice. 5 600 ha de terre cultivables ont été distribués aux familles démunies. Dans son école militaire de Galatée, le PDKI apprend à ses futurs militaires, outre l'art de la guerre, l'alphabétisation (le PDKI a sorti un 1er manuel d'alphabétisation en kurde en 1982), la musique et la danse, car officiellement le peuple kurde n'a pas accès à sa culture.

Principales organisations politiques kurdes

TURQUIE Il y a une dizaine de partis kurdes ; tous ont pour objectif l'indépendance du Kurdistan.

SYRIE

5 partis au total : le plus important est le Parti Kurde de Gauche ; il revendique les droits civiques et culturels.

IRAK

IRAN

La situation est beaucoup plus mauvaise en Turquie ; les élections en 1983 n'ont rien changé ; la loi martiale est toujours appliquée dans 17 des 20 provinces kurdes. Les Kurdes, soupçonnés de séparatisme sont après maints sévices regroupés à la prison de Diyarbakir en fait vaste camp de concentration qui regroupe 5 000 détenus ; entre septembre 1983 et mars 1984, une cinquantaine de détenus y sont morts de faim. L'occupation massive de l'armée peut faire craindre dans le cas d'une révolte une intervention définitive.
Déclaration de Turan Gunès, représentant turc à Strasbourg en 1981 à un journaliste : "Si l'Allemagne fédérale, la France et l'Angleterre fermaient l'&brkbar;il, ce ne serait pas un problème pour nous d'exterminer des millions de Kurdes".
DLes organisations kurdes clandestines en Turquie sont environ une dizaine, toutes de tendances marxistes et aspirant à l'indépendance. La Turquie est un avant-poste de l'OTAN en Méditerranée, elle dispose de l'armée la plus structurée et la mieux équipée de la région ; la Turquie durcit ses positions ; les accrochages se sont multipliés entre le PKK et l'armée turque de chaque côté de la frontière irako-turque. Le 5 mars 1987, l'armée turque soutenue par son aviation, est entrée fort avant dans le territoire irakien. Cette action reste légale puisque couverte par un accord d'octobre 1984 qui accorde le "droit de poursuite des territoires au-delà des frontières", cet accord existe entre Turquie et Irak et entre Turquie et Iran. Aucun accord par contre n'existe avec la Syrie ; entre les deux pays, les tensions sont vives, la Syrie n'a jamais admis le rattachement en 1939 d'Alexandrette (Iskanderoun) à la Turquie. Actuellement, les aménagements du Haut Euphrate avec la construction d'énormes barrages inquiètent le gouverment syrien car ces réalisations pourraient affecter ses ressources en eaux et rendre le pays dépendant de la Turquie. De son côté, la Turquie accepte mal la présence des Kurdes et leur entrainement en Syrie, la Syrie qui devient une base de repli efficace pour les combattants kurdes. Les Turcs ont sérieusement menacé d'intervenir en Syrie. Quelle serait alors l'attitude d'Hafez el Assad ? Comment ferait-il pour maintenir son engagement au Liban et couvrir ses 877 km de frontières avec la Turquie ? Pour lutter contre les Kurdes, la Turquie rentrera-t-elle de plein pied dans la guerre du Proche-Orient ?
DLe Parlement Européen a déjà adopté plusieurs résolutions de condamnation de la Turquie. La dernière date du 18 avril 1985 et condamne la "Campagne de génocide systématique dans les territoires de minorité kurde".
DAu moment ou la Turquie cherche à entrer dans la CEE, il ne faut pas oublier l'histoire ; souvenons-nous des Grecs, des Arméniens, des Kurdes... En Turquie les pouvoirs changent mais l'écrasement des minorités qui a jalonné l'histoire de la Turquie moderne est toujours à l'ordre du jour.

Les Kurdes dans la CEE

600 000 Kurdes de la CEE ont un passeport turc. Certains sont étudiants et se regroupent en "Association d'étudiants du Kurdistan à l'étranger" qui a des sections dans les différents pays ; mais la plus grosse partie est constituée par des travailleurs immigrés, la plupart ne parlent que le kurde, ce qui accentue leur isolement. On en compte 400 000 en Allemagne et 40 000 dans l'État français auxquels s'ajoutent 2 150 réfugiés politiques. Ils sont très surveillés par des associations d'extrême droite tels les "Loups gris", les services de l'ambassade turque ou par l'intermédiaire des écoles d'alphabétisation (faite en turc) ; toutefois le PKK et le PSKT ont parmi eux une certaine influence.
Depuis quelques mois, les tracasseries administratives et policières, des refus de visas ont contraint certaines organisations à fermer leurs sièges telle "la Fédération des travailleurs et patriotes kurdes". Les associations culturelles ne sont pas épargnées ainsi depuis 1983, fonctionne à Paris un "Institut de la culture kurde" ; ses réalisations étaient nombreuses et de qualité. Il recevait des subventions des autorités françaises pour aider à son fonctionnement. Depuis 1986, ces subventions ont été supprimées.
Rappelons que M. Özal, premier ministre turc a rencontré M. Chirac en avril 1986.

L'avenir

La guerre du Liban occupe la Syrie, la guerre Iran-Irak occupe les gouvernements de ces deux pays. Les Kurdes, s'ils subissent la guerre qui fait rage l'utilisent aussi ; elle leur a permis de s'organiser, de se structurer, de dépasser leurs différences. Les récents accords entre le PDKI d'Iran, le Komola, le Xeba, l'UPK d'Irak et les communistes en sont la preuve ; seul dissident, le PDK de Massoud Barzani inquiète mais la porte lui reste ouverte ; M. Talabani déclarait récemment : "Nous sommes prêts à renouer avec eux à condition que leurs peshmergas rentrent au Kurdistan et respectent l'indépendance du mouvement kurde".
La résistance dans son ensemble pense que seul un changement de régime dans un sens démocratique dans les différents pays permettrait de faire avancer leur revendication d'autonomie. Certains ne sont pas sans espérer que, l'issue incertaine des guerres, l'attitude belliqueuse de la Turquie, pourrait faire voler en éclat les diverses frontières. Les Kurdes alors, ne se laisseront pas léser. Un rêve... ?
En attendant, ils gèrent les régions qu'ils ont libérées et, grâce à leur récente union, espèrent bien les agrandir.

Eve Ressaire, 1987

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