OCEANIE

S'il est devenu commun de faire de l'Océanie, le cinquième continent, il apparaît dès le premier coup d'oeil sur la carte, que celui-ci est d'une consistance bien particulière. Si l'on excepte l'Australie qui, à elle seule, est un petit continent, il est clair que ce sont les masses liquides océaniques qui tiennent lieu de commun dénominateur. Il n'y a là que des îles, grandes, moyennes ou petites, isolées ou regroupées en archipels.

Bordé au sud-ouest par l'océan Indien, ce pseudo- continent est tout entier inscrit dans l'océan Pacifique. Toutefois, pour d'évidentes raisons géographiques et humaines, il ne corrrespond pas à l'ensemble des terres émergées que contient cet océan. Il est circonscrit grosso modo, au nord, par le tropique du Cancer, à la hauteur des îles Hawaï, au sud, par le 100e degré de latitude sud, entre la Nouvelle-Zélande et le continent antarctique, à l'ouest, par le 120e degré de longitude est qui coupe l'Australie occidentale. Sa limite au nord-ouest est plus indécise puisqu'il y a quasi continuité géographique entre l'Indonésie considérée comme asiatique et la Papouasie et l'Australie, océaniennes. Outre la ligna Wallace marquant l'extension extrême de la flore et de la faune asiatiques, l'ethnographie intervient pour aider à délimiter avec précision notre champ d'investigation, laissant à l'Océanie, l'île d'Halmahera et la terre de Schouten (Papouasie occidentale), à l'Asie, les Moluques. Cependant, pour des raison pratiques - ces terres appartiennent à l'Indonésie-, nous laisserons de côté l'Irian Jaya et les îles proches qui seront traitées avec l'Asie du Sud-Est. Nous avons exclu de notre propos, les îles

désertes s'égrenant le long du continent américain (Revilla Gigedo, Clipperton, Coco, Galapagos, Juan Fernandez,...) ainsi que celles, tout autant désertes, bordant l'Antarctique. Quelques archipels au sud du Japon et lui appartenant, n'ont pas non plus été pris en considération.
En pratique, c'est à une trentaine d'États indépendants, États autonomes et colonies que nous allons nous intéresser. Cet ensemble disparate où vivent seulement 30 millions d'habitants répartis sur d'immenses étendues, constitue depuis deux siècles un terrain de chasse pour les impérialismes européens et asiatiques qui s'y sont imposé et affronté dans des conditions lamentables et au grand mépris des peuples autochtones. Zone stratégique, zone au potentiel économique important quoique pas ou peu développé, l'ensemble océanien tel que nous l'avons défini plus haut, constitue à bien des égards, une espèce d'Amérique-bis car on y retrouve les données fondamentales du double continent.
D'abord, tout comme les Amériques par son peuplement, l'Océanie est foncièrement un prolongement de l'Asie, préhistorique dans sa partie occidentale (Australie, Nouvelle-Guinée), historique dans le reste du domaine. Progressant du nord au sud de l'Insulinde, les vagues de peuplement ancien abordèrent la Nouvelle-Guinée et l'Australie, il ya 30 ou 40.000 ans. Ces populations mélanodermes peuplèrent de façon plus ou moins lâche ces vastes territoires, s'adaptant à des conditions climatiques très diverses et élaborant une civilisation particulière qui devait rester à l'écart pendant des millénaires. D'autres vagues suivirent qui colonisèrent la Mélanésie.
Des populations xanthodermes parlant des langues austronésiennes et parties de la Chine du Sud, refoulèrent ou abordèrent les Papous de l 'Insulinde et poursuivirent leur progression jusqu'en Mélanésie. Certains se mélangèrent aux Noirs qui adoptèrent leurs langues, d'autres, rayonnant depuis une foyer situé probablement aux Nouvelles-Hébrides, colonisèrent les archipels micronésiens et polynésiens, les derniers territoires atteints étant les Hawxaï, vers 120 ap. J.C., l'île de Pâques vers 400 et la Nouvelle Zélande, vers 1000. De là, des contacts plus ou moins épisodiques s'établirent avec les côtes américaines. Pendant plusieurs siècles, la situation des différents peuples du Pacifique allait rester stable. Tous allaient connaître un processus d'atomisation et de différenciation linguistique important autant dû aux tendances culturelles qu'aux conditionnements géographiques. Seuls les navigateurs micronésiens et maoris échappèrent à cette évolution alors qu'ils peuplaient pourtant d'immenses étendues aux innombrales et microscopiques terres émergées.

A partir de 1800, l'Océanie va se trouver à cheval entre l'Ancien et le Nouveau Monde. Si une bonne partie de la région a conservé de façon prépondérante, son peuplement originel (Papouasie, Méla, Micro et Polynésie), à ses deux extrémités, la réalité est toute autre : les Maoris d'Hawaï ont été submergés par les Européens et surtout les Asiatiques (Chinois, Japonais, Philipppins) ; en Australie-Tasmanie et Nouvelle-Zélande, les autochtones ont été envahis par des colons britanniques qui les anéantirent en partie et refoulèrent les survivants dans les régions les plus ingrates, se métissant parfois avec eux comme ce fut le cas pour les derniers Tasmaniens. Certaines îles comme Guam, les Fidji et la Nouvelle-Calédonie ont connu a peu de choses près, le même sort mais les allogènes n'ont pas véritablement submergé les autochtones, ce qui est une source de frictions permanentes.
A la suite des découvertes européennes, les peuples océaniens furent la proie de missionnaires, des commerçants, des aventuriers, des trafiquants d'esclaves puis de la colonisation de peuplement. De cette rencontre brutale dériva un déclin démographique spectaculaire qui frappa Australiens et Austronésiens, les Papous étant restés assez inaccessibles. Là comme ailleurs, le parallèle avec les Amériques est évident, les mêmes plaies engendrèrent les mêmes effets : exterminations, maladies inconnues contre lesquelles n'étaient pas immunisés les indigènes, esclavage dans les plantations et dégoût de vivre induit par l'évangélisation provoquèrent une chute catastrophique du nombre des Océaniens.
Mais depuis la Seconde Guerre mondiale, le renouveau démographique indigène ressemble à une lame de fond, très inégale cependant, qui entraîne le surpeuplement de certains archipels et l'émigration des îliens vers des zones moins peuplées, Nouvelle-Zélande et Nouvelle-Calédonie notamment. Ce formidable renversement de tendance explique en bonne part, la volonté d'émancipation et de décolonisation qui prévaut en Océanie depuis 1962, date à laquelle les Samoa occidentales récupérèrent leur souveraineté. Par la suite, une dizaine de micro-États ont accédé à l'Indépendance et plusieurs territoires ont reçu un statut d'autonomie.
Devant l'émiettement politique qui résulte de cet État de choses et pour accélérer la décolonisation des derniers "confettis" impériaux, s'est créé le Forum du Pacifique-Sud auquel adhèrent les pays riverains indépendants et autonomes, mais dont sont exclues les puissances coloniales, (France, Grande-Bretagne, USA). Ce Forum fait évidemment la part belle aux États anglo-saxons australien et néo-zélandais dont le poids politique et l'influence économique et culturelle sont difficilement contrebalancés par ceux de leurs partenaires, Papouasie,Nouvelle-Guinée et Fidji pouvant seuls et modérément leur tenir tête.
Il reste encore beaucoup à faire pour qu'évolue la situation politique des derniers territoires coloniaux, mais dans les années passées, de grands pas ont été accomplis en ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie où le sort des Kanaks laissait particulièrement à désirer. Un autre des grands dossiers de l'Océanie en voie d'émancipation est le devenir du Centre d'Essais Nucléaires de Mururoa, aussi bien écologique qu'économique, et qui préoccupe légitimement les Polynésiens et tous les autres riverains du grand océan.
Du fait des évolutions tant démographiques que politiques et économiques en Océanie et au pourtour de celle-ci, on peut noter quatre types de situation en ce qui concerne l'évolution de la composition ethnique des différents territoires :

Si la situation hawaïenne nous paraît préoccupante pour les Maoris, les autres réalités en mouvement nous semblent tout à fait conformes à la stratégie ethno-territoriale que nous préconisons.

Jean-Louis Veyrac, 1993

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