LUGAR N°32

Europe : la grande illusion (1989)

par Jacques Ressaire


Dès la fondation du Parti Nationaliste Occitan en 1959, François Fontan annonçait que le principal handicap à la construction d'une Occitanie libre serait le mythe européen. Il y voyait pour l'Occitanie selon une formule alors à la mode "la contradiction principale". Il y a en effet un antagonisme évident entre l'émancipation des nationalités et leur anéantissement dans un super Etat centralisé. Ces trente dernières années ont vu le rêve européen s'ériger en véritable dictature à tel point qu'aucune force politique importante en France comme ailleurs n'ose s'élever contre l'unification européenne. Même les partis parisiens les plus réticents, gaullistes pour cause de nationalisme ou communistes pour ne pas gêner les ambitions soviétiques à l'Ouest, se sont ralliés à l'Europe. Pour tous les grands partis l'Etat européen est un fait accompli et désormais incontournable. Ils l'ont doté d'un parlement élu, d'un président même si celui-ci est tournant, d'une monnaie (l'Ecu) et d'une myriade de fonctionnaires qui n'en finissent pas de nous diriger. Les réticences de la France à abandonner le choix de Strasbourg comme capitale frisent le ridicule. Bruxelles est depuis longtemps la capitale du seul Etat qui compte dans tous les esprits. L'handicap linguistique qui pourrait gêner le bon fonctionnement de cet Etat est allègrement dépassé. C'est l'anglais en principe obligatoire dès la maternelle pour tous et partout. Le 1er janvier 1993 ne sera qu'une inauguration qui comme toute inauguration qui se respecte sera fêtée avec quelques retards. Qu'on ne nous parle plus d'Allemagne, de France, d'Italie, de Flandre ou d'Occitanie ! L'idée de "nation" est dépassée, nous sommes à l'heure de l'Europe. Quiconque le mettrait en doute serait immédiatement cloué au pilori, accusé de passéisme et ce qui est pire de vouloir balkaniser l'édifice. D'ailleurs personne n'y pense, si ce n'est quelques nationalistes attardés...

DU MYTHE A LA REALITE :

A entendre ainsi ânonner à l'infini et à l'unisson les média de la petite Europe des douze, on peut se demander s'il n'y a pas là une vaste entreprise de mystification. L'envie nous prend d'aller y voir d'un peu plus près. C'est ce qu'a fait Alain Minc dans son dernier ouvrage intitulé avec un certain sens de la provocation : "La Grande Illusion" publié chez Grasset. Alain Minc est loin d'être hostile à l'Europe, il en est même un des artisans économiques majeurs puisqu'il est le représentant à la tête de la société CERUS des ambitions européennes du grand patron italien De Benedetti. On ne saurait être plus que lui acteur dans les rouages de l'Europe. Il est de ceux à qui on peut appliquer la célèbre phrase de F. Mitterrand : "L'Europe, ça rapporte". N'a-t-il pas failli en lançant une OPA sur la Société Générale de Belgique (holding qui contrôle près de la moitié de l'économie belge) acheter en partie la capitale de l'Europe ? On peut donc supposer qu'Alain Minc connaît bien son sujet lorsqu'il parle de l'Europe et s'écrit : "Arrêtons de tricher". Le mythe de 1992 nous rend aveugle".

La réalité perçue par Alain Minc est que le grand marché de 1993 ne représentera pas davantage qu'une zone de libre échange où se déploieront à qui mieux mieux les économies américaines, asiatiques et est-européennes. La réalité selon Minc est que "le continent bascule, le recentrage allemand, la lancinante pression soviétique". La démonstration d'Alain Minc est séduisante. Les Etats Unis sont entraînés dans une dérive vers l'Ouest, mais aussi vers le Nord (Canada) et vers le Sud (Mexique), ce qui les éloigne de l'Europe. Les Soviétiques usant du charme de Gorbatchev s'ouvrent à l'Europe. Le centre économique de l'Europe se déplace d'Ouest en Est. L'Allemagne envoûtée, toujours fidèle au "Drang nach Osten" (poussée vers l'Est) y trouve un moyen habile de réunification. La RDA n'est-elle pas en fait le 13ème membre clandestin du Marché Commun. Ce qui permet à Alain Minc d'énoncer dans un raccourci génial : "Il n'existe pas de question européenne, il n'existe qu'une question allemande".

L'EUROPE ECLATEE :

Alain Minc décrit avec lucidité que l'Europe qui se fait est celle de la plus grande pente vers l'Est : l'Europe de l'Atlantique à l'Oural où le poids de l'Oural risque de l'emporter sur celui de l'Atlantique et dont le centre sera l'Allemagne érigée en "Empire du Milieu". Dans ce nouvel ensemble, la montée des nationalismes polonais, serbo-croates ou arméniens laissent prévoir une nouvelle balkanisation dont le bel humanisme européen fera les frais.

Alain Minc voit l'éclatement de l'Europe comme une menace. Il ne peut bien sûr se satisfaire de voir scier la branche sur laquelle il est assis. Il sait que l'union économique est un leurre, il espère encore en l'imagination technocratique pour ressusciter la déesse Europe malade. En avançant l'idée d'une Europe culturelle pour pallier les purges darwiniennes de l'Europe économique, il sous-estime le poids des réalités ethniques dans l'Europe des douze. Celles-ci sont loin d'avoir disparu. Leur réveil s'annonce d'autant plus fort qu'on les ignore. Il en est de la nation comme de la sexualité, elle se manifeste d'autant plus qu'on entend l'oubier.

Sans aller jusqu'à être un apôtre du réveil des ethnies en Europe, Alain Minc a au moins le mérite de dénoncer "l'illusoire dictature de 1992". Le discours européiste est devenu insipide, il était temps de lui faire subir un bon décalage. Voilà qui est fait.

VERS UN ENSEMBLE DE NATIONS INDEPENDANTES ET AMIES :

L'idée d'une entente européenne à six, à dix, puis à douze n'aura pas été vaine. Elle aura été enfin un facteur de paix entre grandes puissances. Mais l'unification européenne est un leurre. Le livre d'Alain Minc vient à point pour le confirmer. Il est donc nécessaire d'envisager autre chose. Nous proposons une Europe des ethnies indépendantes et amies. Mais à la limite cela peut vouloir dire que les nations alors émancipées n'auront plus besoin de faire l'Europe. Tel était le message que nous proposait François Fontan en 1959, il y a trente ans lorsqu'il créait en conséquence le Parti Nationaliste Occitan.

Janvier 1989
J. RESSAIRE


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