LES PRINCIPES DE L'ETHNISME
par François Fontan

L'ethnisme est un élément de base dans la définition d'une politique scientifique globale, ce n'est pas le seul. L'ethnisme proprement dit étudie la "question nationale", les nations, les rapports entre nations. Il consiste d'une part en une définition objective de la nation, sans laquelle tout ce qu'on peut dire par ailleurs n'a plus aucune rigueur, n'a pas de valeur scientifique, et donc n'est plus d'aucune utilité politique, et d'autre part en une conception des rapports entre nations, conception basée sur l'inter-nationalisme, la collaboration pacifique entre nations indépendantes, condition d'une voie de progrès pour l'humanité dans son ensemble.

La question des rapports entre les nations n'est pas le seul problème politique fondamental, il y a d'une part la question des rapports entre classes socio-économiques issues de la division du travail, et d'autre part la question des rapports entre sexes et entre classes d'âge liée à la structure socio-familiale qui constituent deux autres problèmes politiques fondamentaux. En disant que ces trois séries de problèmes sont fondamentales, nous voulons dire qu'elles ne sont pas réductibles les unes aux autres, c'est-à-dire qu'on ne peut pas les déduire les unes des autres, elles sont spécifiques ; mais en même temps, l'être humain n'étant pas fait de compartiments séparés les uns des autres, elles sont constamment en inter-action, ce dont toutes les solutions qu'on peut proposer doivent tenir compte.

En montrant que le problème politique prioritaire est celui des nations et des rapports entre nations, la théorie ethniste aurait tendance à englober dans une même doctrine ces trois séries de problèmes, en utilisant pour cela les rapports de toutes les sciences de l'homme, et notamment l'analyse marxiste des classes et des rapports entre classes (révisés par l'expérience historique et les progrès dans le domaine des sciences sociales acquis depuis Marx) et les travaux de Wilhelm Reich dans le domaine de la psycho-physiologie appliqués à l'analyse des relations entre sexes et entre classes d'âge. Toutefois, l'exposé global d'une telle théorie ethniste soulève quelques difficultés tenant entre autre à l'état actuel des recherches scientifiques et des travaux de synthétisation nécessaire des résultats, et aussi à l'ampleur des matérieux et de l'argumentation à mobiliser pour la clarté de l'exposition (ce que nous ne pouvons entreprendre dans l'immédiat). Par conséquent, nous présenterons ici quelques éléments essentiels à l'élaboration d'une doctrine politique scientifique globale, de façon relativement autonome, en soulignant que nous les considérons comme faisant partie d'un même ensemble, et que ce ne sont pas les seuls. En premier lieu, l'ethnisme...

  1. L'EXISTENCE DES NATIONS : LA REALITE NATIONALE

    1. L'ESPECE HUMAINE

      Comme point de départ fondamental, on devrait toujours faire une constatation : à un certain moment de l'histoire de l'univers, il y a eu l'apparition de l'espèce humaine, espèce bien caractérisée biologiquement, physiologiquement, morphologiquement, etc.

      Depuis ce moment et tant qu'elle ne sera pas supplantée par une nouvelle espèce - une espèce "sur-humaine" -, nous avons une espèce dotée d'un ensemble de caractéristiques fondamentales (d'une nature humaine), qui ont conditionné son développement, son évolution, son histoire : il est essentiel de le constater, et d'en tenir compte pour toute élaboration d'une voie humaine du progrès.

      Autant que l'on puisse savoir, cette espèce humaine est apparue dans une zone assez vague située dans le sud de l'Asie, l'est de l'Afrique, ... les territoires autour de l'Océan Indien (c'est la seule précision que l'on puisse donner), il y a environ 30 000 ans. On a retrouvé les ossements des espèces intermédiaires entre le singe et l'homme essentiellement dans cette zone. Et il est probable que l'espèce humaine vient de cette zone, mais ce n'est qu'une probabilité dans l'état actuel des connaissances, on ne peut pas l'affirmer catégoriquement. Nous ne pouvons pas non plus savoir exactement comment se sont faites les diverses mutations qui ont permis d'arriver à l'homo-sapiens, à l'espèce humaine.

      De là, il y a eu dispersion, à des dates évidemment inconnues. On peut supposer que cette espèce humaine était d'abord une race de type physique brun qui se retrouve d'ailleurs dans ces zones là. Puis, avec la dispersion des régions les plus éloignées du globe, il y a eu apparition de trois types extrêmes divergents par rapport au tronc commun : blanc (dispersion vers l'ouest), jaune (dispersion vers l'est), noir (dispersion vers le sud). Il est probable que tous les types bruns intermédiaires ne sont pas, comme certains l'affirment, le résultat d'un mélange de blancs ou de jaunes et de noirs : au contraire, blancs, jaunes et noirs sont très probablement une apparition ultérieure par l'évolution de ces bruns.

      Il n'y a pas de coupure nette, pas de limite précise au point de vue racial pour aucune population du monde, sauf peut-être des points absolument isolés (archipels où a survécu en vase clos une population). Il n'y a que des dégradés qui ont probablement correspondu assez largement à une évolution progressive d'une zone à l'autre. Cela n'exclut pas tout métissage ultérieur évidemment. Toujours est-il que, dans la mesure où on n'a pas de documents précis sur tout cela, on tend actuellement à classer encore l'humanité en trois grands groupes raciaux : blancs, jaunes et noirs, ce qui ne sera pas forcément démontré exact ultérieurement.

    2. L'APPARITION DES NATIONS

      Donc, pendant des millénaires, il y a eu la dispersion de cette espèce humaine sur la surface de la terre. Il y a eu, en fonction des différences de milieu géographique, l'apparition de races différentes qui ensuite se sont elles-mêmes subdivisées, mélangées, pour former des ethnies (ou nations).

      Celles-ci pouvaient apparaître et se maintenir ou disparaître, soit pas assimilation à une autre, soit en se divisant en nouvelles ethnies "filles" (exemple de la subdivision de la "Romania" - ethnie latine ayant absorbé diverses nations conquises - en nations néo-latines, puis de l'extinction d'une d'elles, l'ethnie Dalmate, au XVIIIème siècle) ; la ramification ethnique de l'humanité et le sort des divers rameaux constituent la trame de son histoire. On en est arrivé - en ce qui concerne l'Europe, il y a environ mille ans - à un peuplement partout assez dense et relativement stable, et à partir de ce moment là, à la formation à peu près définitive et stable des ethnies actuelles.

      Dans certaines parties du monde, ce peuplement dense et stable ne s'est pas encore achevé, et il continue d'y avoir davantage de mélanges de populations et de nouvelles délimitations ethniques : une situation de peuplement ethnique différente. Mais, en Europe et dans la plus grande partie du monde, toute cette période historique de peuplement, de migrations, de formation et de stabilisation des ethnies s'est achevée depuis au moins un millénaire. Et même dans les régions où ont continué de s'opérer des migrations, on constate à peu près toujours depuis la même époque que cela n'aboutit pas à la formation de nouvelles nations. L'exemple le plus typique en est le continent américain qui s'est peuplé depuis 500 ans, puisqu'avant il y avait à peine quelques millions d'habitants, et où nulle part de nouvelles ethnies sont apparues.

      Il y a ainsi une différenciation, une caractérisation de l'humanité en nations ou ethnies qui s'est opérée au cours des siècles, au cours des millénaires, et qui a tendance à demeurer stable. C'est un des phénomènes essentiels de l'histoire de l'espèce humaine.

      Ce fait, on constate malheureusement que les différents mouvements politiques, les différentes doctrines politiques en font généralement abstraction. Alors que cela devrait être le point de départ indispensable de toute conception politique scientifique sérieuse.

      Il faudrait maintenant dire plus précisément ce que l'on entend par nation ou ethnie (qui étymologiquement ont la même signification), car il y a eu diverses définitions qui ont été données de la nation.

    3. LES DEFINITIONS DE LA NATION

      1. Définition étatiste :

        Elle se contente d'enregistrer et de valoriser les résultats de rapports de force momentanés, c'est-à-dire identifie la nation à l'état. Elle ne repose évidemment sur aucune base scientifique, mais seulement sur un fait de domination momentanée que ces conceptions là tendent à valoriser.

        Entre également dans cette définition la valorisation d'un état qui n'existe plus actuellement, mais qui a été autrefois, ce qui n'est bien sûr pas plus scientifique (par exemple, l'idée d'une Bretagne comprenant Rennes et Nantes, souvenir d'un ancien état breton).

      2. Définition volontariste :

        C'est la définition de la philosophie libérale démocratique bourgeoise qui a été exprimée le mieux par Renan : c'est-à-dire, une nation c'est l'ensemble des gens qui veulent vivre ensemble.

        Cela est tout à fait illusoire dans la mesure où l'on prend la volonté des gens comme quelque chose de non déterminé par des causes objectives, précises, analysables. Les gens seraient animés de cette volonté de vivre ensemble. Pourquoi ? Quelle est la cause de la volonté des gens de former une nation ?

        C'est une définition purement subjective, et, on peut dire, pré-scientifique. C'est pourquoi il a été nécessaire de chercher une définition objective des nations.

      3. Définition de Staline :

        Le premier essai dans ce sens a été fait par Staline (ou plutôt par Lénine et Staline, et publié sous la signature de Staline). C'est la première définition à prétention scientifique qui ait été donnée de la nation. Nous allons critiquer rapidement cette conception et donner la nôtre puisque, à notre connaissance, il n'en existe pas d'autres.

        D'après Staline, la nation se caractérise par :

        • un territoire ;
        • une communauté de destin historique ;
        • une vie économique commune ;
        • une langue ;
        • un caractère national.

        Un territoire : bien sûr, toute nation a - ou au moins a eu - un certain territoire, les gens ne vivent pas en l'air. Mais cela ne peut pas être utilisé comme critère quelconque, car comment le délimiter ? Qu'est-ce que le territoire d'une nation ? Depuis la Mer du Nord jusqu'à l'Oural, il n'y a pas de limites géographiques, ce n'est qu'une vaste plaine... Le territoire ne peut pas servir à déterminer la nation, ce n'est pas un critère utilisable.

        Ensuite, il y a la communauté de destin historique et la communauté de vie économique : ces deux critères ne sont nullement utilisables, ils ne sont nullement exacts, parce qu'en raison des rapports de force entre nations, c'est-à-dire des impérialismes, les différentes nations ont été très fréquemment coupées en plusieurs états, et par conséquent les morceaux de telle ou telle nation ont subi un destin historique différent et ont été intégrés à des communautés économiques différentes. Les exemples les plus récents en sont l'Allemagne de l'est et de l'ouest, la Corée du nord et du sud, le Vietnam du nord et du sud ; ce fut pendant plus d'un siècle la Pologne partagée entre trois états et chacun des morceaux soumis à un destin historique différent, il n'y avait pas de marché national polonais, pourtant personne ne contestera aujourd'hui l'existence d'une nation polonaise. Cela rend ces critères inutilisables.

        Il y a aussi le caractère national, c'est-à-dire que d'après Staline chaque nation a une psychologie bien déterminée, un caractère... C'est certainement vrai. Seulement on n'en a aucune connaissance scientifique à l'heure actuelle, les études d'ethnopsychologie en sont à peine aux premiers balbutiements et on ne connait encore aucune méthode pour déterminer le caractère national. Ce qui fait que cette notion ne peut pas nous servir à grand chose non plus.

        Il ne rest donc plus que la langue... (nous allons y revenir).

        Ceux qui prétendent se rattacher à cette théorie ne l'utilisent jamais en pratique pour déterminer leurs positions sur les questions nationales : il n'y a pas d'exemple de parti se revendiquant de cette théorie, et à qui elle servirait de guide pour l'action. C'est simplement une référence théorique, et comme les cinq critères en question ne coïncident jamais, ils utilisent l'un ou l'autre pour justifier telle ou telle position suivant la nécessité de l'opportunisme politique le plus immédiat.


    4. LE CRITERE LINGUISTIQUE

      Nous en venons à la théorie de la nation qui considère que le seul critère utilisable pratiquement pour déterminer quand et jusqu'où il y a nation est celui de la langue indigène. Et il faut dire qu'il y a des précurseurs de cette théorie : ce sont les fondateurs du nationalisme allemand, Fichte en particulier, vers 1800 à l'époque où le nationalisme allemand était un des premiers nationalismes progressistes. Et ces premières conceptions ne se voulaient pas applicables seulement à la nation allemande : Herder se consacrait à l'étude des ethnies de l'Europe centrale et orientale, il fut le premier à faire de l'ethnisme pour une dizaine de nations.

      1. Un indice synthétique :

        Précisons sur cet indice linguistique. D'abord, il faut bien dire que nous ne l'avons pas adopté comme ça parce qu'il nous plaisait : c'est parce que depuis des siècles il s'est vérifié qu'il était en effet le seul indice permettant de préciser quand et jusqu'où il y a nation.

        Nous ne disons pas du tout que la nation se résume à la langue, nous disons que la langue est le seul indice utilisable pratiquement, mais que, en effet, c'est un indice synthétique, et qu'il correspond en plus à des situations de composé racial, d'économie, de psychologie, de caractère national qui ne sont pas très aisément délimitables géographiquement.

        Depuis quelques siècles, on constate que cet indice linguistique est valable partout, c'est-à-dire que si en 1800 on avait pris une carte des états d'Europe et une carte des langues, on pouvait prévoir très exactement les 20 états nationaux qui se sont formés depuis ; il n'y avait que 9 états nationaux à l'époque, il y en a maintenant une trentaine. Et la même chose ailleurs dans le monde. Nous avons ainsi un fil conducteur pour les questions de nations que toute l'expérience démontre rigoureusement exact : un fil conducteur pour comprendre et prévoir l'évolution historique en ce qui concerne les nations. Sous réserve de l'anéantissement d'une ethnie par une bombe atomique, bien sûr !

        Seule la langue est suffisamment exacte et précise pour être utilisable concrètement pour cette délimitation. Nous ne pouvons absolument pas prévoir à partir de cela les formes que prendra le mouvement de libération nationale, l'époque à laquelle il arrivera, etc., évidemment.

        Il faut préciser aussi la notion de langue : une langue, ce n'est pas seulement une langue déjà strictement unifiée, c'est pour la plupart des nations indépendantes un ensemble de dialectes étroitement apparentés et plus ou moins intercompréhensibles. Pour une classification stricte, on se réfère aux linguistes spécialistes de chaque langue (ou groupe de langues). Et toujours on prend évidemment en considération la langue indigène : il y en a un peu moins de 200 dans le monde, il n'y en a pas des milliers comme on le dit parfois (seulement, dans ces cas là, on considère comme des langues toutes les nuances dialectales de chaque tribu africaine...).

      2. Application pratique du critère linguistique :

        Cependant par rapport à ce critère linguistique il y a certaines exceptions générales qui doivent être faites :

        1. Nous pensons qu'un changement d'appartenance linguistique récent doit être annulé, et qu'on doit considérer une population qui a perdu au cours des deux ou trois derniers siècles sa langue au profit d'une autre comme appartenant toujours à la même nation, étant donné que cette disparition de la langue laisse subsister tout un ensemble de traits de leur personnalité, que la langue qui n'a pas disparu par ailleurs (car si la langue a totalement disparu de l'usage, le processus d'assimilation est irréversible) demeure encore au niveau des structures mentales, et que ce serait encourager un impérialisme en cours que de se limiter strictement à l'usage linguistique actuel. Un exemple, les vallées occitanes sous domination italienne : les dernières communes (deux ou trois) de chaque vallée parlaient encore occitan il y a environ 100 ans ; les noms des familles sont bien occitans, les noms de lieu sont occitans, l'architecture des maisons est occitane, et les gens, les vieux surtout, se souviennent encore de certains mots, ils transforment même parfois les mots italiens selon des règles phonétiques occitanes ; ils ont encore le sentiment net de leur originalité par rapport aux Piémontais de la plaine. Autre exemple, un morceau de l'ethnie rhétique, romanche, se trouve dans l'état autrichien et ne parle plus la langue rhète depuis 1800 environ, c'est la vallée de Muntafun : nous avions donc considéré que cette vallée devait revenir à la nation rhétique, mais personne n'avait jamais entendu parler d'une conscience nationale rhète au Muntafun, c'était disons une prévision scientifique ; et il y a quelque temps nous avons apris qu'au Muntafun des gens commençaient à revendiquer qu'on revienne, pour commencer, officiellement aux toponymes et aux noms de familles en langue rhétique.

          Donc, première série d'exceptions, les populations et territoires récemment assimilés. On ne peut pas fixer de date précise. En Europe, pour diverses raisons, depuis environ 300 ans. (Et c'est également valable pour l'expulsion récente d'une population de son territoire). Le cas de l'Irlande est typique puisqu'en 1910 les trois-quarts de l'Irlande ne parlaient plus irlandais ; mais en 1860 la totalité de l'Irlande parlait plus ou moins irlandais.

        2. Dans le cas des nationalités qui ont perdu leur territoire, qui en ont été chassées, mais qui continuent d'exister en tant qu'ethnies bien différenciées, et qui n'ont pas acquis un nouveau territoire, nous estimons qu'on doit leur restituer leur ancien territoire, en tenant compte dans ce cas de la densité des deux ethnies en présence, l'ancienne qui y retourne et la nouvelle qui l'a occupé. Cela s'applique en particulier pour les différentes nations amérindiennes des Etats Unis.

        3. Les territoires pratiquement vides, actuellement ou récemment, doivent être légitimement attribués à des nations surpeuplées. L'exemple type c'est l'Australie, où il y a d'une part environ 100 000 indigènes australiens qui ont droit à un territoire, mais l'Australie est grande comme les trois-quart de l'Europe ; il y a d'autre part 15 millions d'Anglais dans le sud-est, et les trois-quart du territoire sont pratiquement vides. Nous pensons que ces territoires doivent être attribués à des nations totalement surpeuplées de certaines zones d'Asie, les Bengalis par exemple qui s'entassent à 2 000 habitants au km2.

          Ces attributions doivent se faire en tenant compte autant que possible des mouvements spontanés d'émigration, c'est-à-dire que dans le cas des ethnies surpeuplées d'Inde, s'il n'y avait pas eu interdiction stricte du gouvernement australien, il y aurait déjà peut-être 30 millions de Bengalis et de Tamouls en Australie.

          Si le gouvernement américain n'avait pas strictement interdit l'immigration massive des peuples apparentés aux Chinois, dans tout l'ouest des Etats-Unis il y en aurait maintenant des dizaines de millions.


    5. NATIONS ET CLASSES

      Un point important à voir, c'est le rapport qu'il y a eu, au point de vue historique, entre nations et classes, le rapport que l'apparition et le développement des classes sociales a avec le développement des nations.

      La division de l'humanité en classes, autant que l'on sache, n'est apparue que sur la base d'une division du travail, et donc d'un certain développement des forces productives. Il n'y a eu apparition de classes qu'avec l'apparition de l'agriculture essentiellement, et peut-être d'une industrie très élémentaire.

      Or, cela ne s'est fait que 20 à 25 000 ans après l'apparition de l'humanité, et donc des millénaires après que l'humanité se soit divisée en ethnies. Quand on lit dans certains ouvrages que les nations sont un produit du capitalisme, c'est très humoristique et cela fait beaucoup rire : il est bien évident qu'il y avait des Chinois et des Japonais avant que le capitalisme ait commencé d'apparaître à la fin du 19ème siècle en Chine et au Japon, qu'il y avait des Anglais, des Français et des Allemands avant 1600, etc. ; et de même chez des peuples primitifs actuellement existants où il n'y a toujours pas de classes, on distingue cependant des ethnies bien différenciées.

      Ce qu'il y a eu, c'est qu'à partir du moment où des classes se sont formées dans certaines nations, le développement de chacune de ces nations et des rapports entre nations s'est fait en inter-action étroite avec le développement des classes et des rapports entre classes, c'est-à-dire qu'aucun de ces deux phénomènes n'est le produit de l'autre.

      Par exemple, la nation française est apparue de façon stable à peu près comme toutes les ethnies d'Europe vers l'an 900, à partir du moment où l'on peut dire qu'il y a une langue française, le groupe dialectal français bien déterminé. Au moment de l'apparition de la nation française il existait déjà des classes, la féodalité. Et donc les relations entre l'ethnie française et les ethnies voisines ont été en même temps des relations entre la féodalité française et les féodalités des pays voisins. Mais ce n'est pas l'existence de classes qui a fait apparaître la nation française, ni la nation française qui en tant que telle a produit la féodalité.

      Une fois l'ethnie constituée, toute sa structure, son organisation intérieure, comme de même ses rapports avec l'extérieur sont étroitement dépendants de sa structure de classes et des formes politiques qui en découlent. Lorsque l'ethnie russe s'est consituée définitivement, il semble qu'elle était encore à l'époque d'un semi-communisme primitif, plus ou moins ; à un certain moment il est apparu une féodalité qui a duré jusqu'à la fin du 19ème siècle, et c'est seulement à la fin du 19ème siècle qu'on a vu apparaître en son sein un début de classe bourgeoise qui a été liquidée avant même d'être devenue classe dominante ; et cela n'a absolument pas changé le fait qu'il y ait une ethnie russe ; seul a changé simplement le mode d'organisation de cette nation, et cela a influé évidemment sur le comportement de cette nation vis à vis des autres nations.

    6. LES DOCTRINES POLITIQUES CONCERNANT LES RAPPORTS ENTRE NATIONS

      1. Les doctrines impérialistes :

        Les premières, qui se rattachent d'ailleurs à la définition de la nation uniquement d'après l'état, sont les conceptions impérialistes, et en pratique étatiste.

        Le phénomène de l'impérialisme c'est toute domination politique, exploitation économique, assimilation culturelle et linguistique, et au maximum destruction physique d'une nation par une autre. Les idéologies impérialistes - et surtout les pratiques impérialistes - sont évidemment très répandues à travers le monde, et cela depuis les origines de l'humanité. Avant même que n'apparaissent les classes. On peut toujours constater même chez les peuples primitifs sans classes l'impérialisme d'une ethnie sur une autre.

        On peut dire ainsi que d'une part l'apparition des classes, d'autre part l'impérialisme d'une nation sur une autre sont des conséquences parallèles des contradictions économiques, c'est-à-dire des besoins économiques insatisfaits. Ce sont les contraditions économiques qui ont poussé les êtres humains à une lutte de tous contre tous, laquelle a donné, et la stratification en classes, et l'impérialisme d'une nation sur une autre. Il est essentiel de bien voir que l'impérialisme n'est pas un produit de l'existence des classes.

      2. Les doctrines cosmopolites :

        Une deuxième conception concernant les rapports entre nations est uniquement une conception, elle n'est pas une pratique politique concrète : c'est le cosmopolitisme. Le cosmopolitisme est une théorie qui consiste à refuser d'admettre la réalité ou la profondeur des faits nationaux, et qui pense possible et souhaitable de supprimer les nations.

        C'est fondamentalement faux dans la mesure où il faudrait pour cela un super-impérialisme gigantesque qui à la fois forcerait les gens à des émigrations massives, des mélanges massifs, alors que nous allons au contraire vers une stabilisation du peuplement, et imposerait une langue et une culture à l'ensemble du monde. En pratique on en arrive à ceci : les idéologies cosmopolites sont simplement un masque, consciemment ou inconsciemment, d'une politique bien précise, celle dont on vient de parler, l'impérialisme.

        Le cosmopolitisme n'est qu'un nuage de fumée idéologique masquant des pratiques impérialistes : dès que des gens se revendiquant d'idéologies cosmopolites ne sont plus de simples rêveurs et prennent le pouvoir quelque part, ils pratiquent une politique impérialiste au profit de la nation dans laquelle ils ont pris le pouvoir. On a vu dans l'histoire toutes sortes d'idéologies servant à cela : d'abord des religions comme le christianisme ou l'islam qui sont en tant que telles cosmopolites, qui ne parlent pas de la question nationale, n'ont pas de position là-dessus, et qui en pratique - du moins dans la plupart des pays où elles se sont imposées - ont été impérialistes au profit de la nation qui s'en revendiquait.

        Nous disons dans la plupart des cas, parce que le cosmopolitisme peut être utilisé de façon extrêmement variable. Par exemple, à partir du christianisme, en lui-même cosmopolite, il a pu se développer des conceptions qui ne le sont pas, les conceptions orthodoxes, opposées aux catholiques et protestants : la valorisation des langues et des cultures nationales a été une innovation dans le christianisme. Par contre, l'islam sunnite majoritaire s'identifiant à l'impérialisme arabe a été une interprétation maximum du cosmopolitisme dans un sens impérialiste.

        De la même manière, la philosophie démocratique bourgeoise, le libéralisme, qui se voulait encore plus expressément cosmopolite, s'est identifié à la nation française, à l'impérialisme français de Napoléon à travers l'Europe, puis à l'expansion de l'empire colonial français sous la troisième république...

        Il y a toujours, à la fois, différents aspects dans le phénomène impérialiste : conquête politique, immigration de colons, oppression et tentative d'assimilation culturelle, dans certains cas métissage de différentes populations (mais toujours au profit de l'une des nations, qui tente d'assimiler l'autre), etc. L'idéologie cosmopolite vient simplement dans bien des cas masquer la chose, la rendre acceptable. Elle est presque toujours destinée à masquer aux gens qui y croient la réalité de leur comportement, à les mystifier, à leur faire voir la réalité autrement qu'elle n'est. Parmi les individus qui se réclament de telle ou telle idéologie cosmopolite, on peut trouver toutes les sortes de cas psychologiques : il y en a qui sont réellement mystifiés, d'autres au contraire ont très bien conscience qu'il s'agit d'un outil dont ils se servent pour exploiter les autres...

        Un exemple des plus récents et des plus répandus d'idéologie cosmopolite, c'est le marxisme. Dès que ses partisans ont pris le pouvoir dans un pays, le marxisme a immédiatement servi de justification à l'impérialisme de cette nation, sous le prétexte toujours de réaliser certains objectifs à l'échelle mondiale. Mais de même qu'il y a eu des interprétations non cosmopolites du christianisme, le marxisme a donné aussi des interprétations non cosmopolites, c'est-à-dire les interprétations nationalistes, nationales-communistes que nous pouvons voir se développer de plus en plus.

        Le noyau même de la conception historique et politique de Marx est sa négation des nationalités : ne voyant l'histoire de l'humanité que comme celle des classes, voyant les nations comme un produit de l'époque bourgeoise, voyant que la bourgeoisie crée le prolétariat, et concevant le socialisme uniquement comme le résultat de la conscience des intérêts et de l'action du prolétariat, et comme ce prolétariat n'existait à son époque, et du moins pour une période assez longue prévisible,  que dans certaines nations d'Europe occidentale, il était inévitable qu'il en vienne en pratique, ainsi que ses disciples, à un impérialisme occidental. Marx précise dans le Manifeste Communiste que le prolétariat doit devenir la nation : si seul le prolétariat peut faire et fera le socialisme, et s'il n'y a de prolétariat que dans certaines nations, la conséquence c'est que seule la "dictature du prolétariat", donc en fait l'impérialisme de ces nations là puisqu'il n'y a pas de prolétariat ailleurs, pourra faire et fera le socialisme dans le reste du monde. Marx a été jusqu'à parler de la disparition non seulement des classes réactionnaires, mais aussi de peuples entiers réactionnaires comme faisant partie du progrès.

        Il y a tout un impérialisme occidental absolument inhérent au marxisme en occident, ce qui donné selon les interprétations des différentes tendances marxistes chaque fois un impérialisme bien précis. On a vu par exemple les sociaux-démocrates français s'identifier au colonialisme français en Algérie, ce qui était tout à fait logique, les Algériens ne pouvant pas faire le socialisme. Et de même, à la même époque, l'écrasement d'un "peuple réactionnaire entier" - le peuple hongrois - par l'armée russe, la Russie étant devenue un pays prolétaire. Voilà des exemples concrets de cosmopolitisme prolétarien marxiste comme idéologie de justification de l'impérialisme.

        Cela a même atteint des proportions délirantes chez un petit peuple de 30000 habitants sur les bords de l'Océan Arctique, les Nénétsis, appelés jadis Samoyèdes. Comme il fallait que partout il y ait des luttes de classes, le parti communiste russe a essayé de développer les luttes de classes dans la nation nénétsi à partir de 1925. Tous ces gens étaient dans la misère et vivaient uniquement de l'élevage de leurs rennes ; entre les plus pauvres et les plus riches, l'écart était de 10 à 20 rennes environ ; alors, quand il a fallu diviser la société nénétsi en classes, on l'a fait suivant le nombre de rennes : jusqu'à 12 des paysans pauvres, de 12 à 16 des paysans moyens, à 18 ou 20 c'étaient des koulaks, et s'il y en avait un qui avait 25 rennes, c'était un chef de tribu, un roitelet, vraiment le féodal épouvantable. On a donc essayé de détruire cette classe dirigeante nénétsi : cela a donné le refus massif des Nénétsis de participer à aucune sorte de socialisme ainsi conçu, ils ont égorgé la totalité de leur troupeau de rennes. A partir de quoi, on a été un peu plus modéré... Voilà jusqu'à quel délire peut conduire l'application du marxisme orthoxe, du marxisme strict, dans certains peuples.

        On a de nombreux autres exemples révélateurs : en Algérie, le premier soulèvement a eu lieu en 45, alors que Maurice Thorez était vice-président du Conseil et Charles Tillon ministre de l'armement ; ce sont les avions de Tillon et Thorez qui ont massacré 45 000 Algériens dans la région de Sétif. A la même époque, M. Thorez a contresigné l'envoi du corps expéditionnaire français en Indochine. Et quand le soulèvement algérien s'est fait définitivement, l'Humanité a dénoncé les hitléro-trotskistes, la provocation fasciste que représentait le soulèvement du F.L.N. ; et jusqu'en 1959 ou 60, le P.C.F. était contre le principe de l'indépendance de l'Algérie, il ne l'a adopté que lorsqu'elle a été virtuellement faite et que personne n'en doutait plus ; jusque là, il défendait "une Algérie démocratique dans une vraie Union Française".

        A Cuba, le Parti Communiste était dans le gouvernement Battista, et condamnait les castristes comme aventuriers petits-bourgeois fascistes. Trois mois avant la chute du gouvernement, ils se sont retirés pour attendre ce qui allait se passer, et quand Castro a pris le pouvoir ils sont entrés dans le mouvement castriste en espérant s'en emparer facilement. Mais ce sont eux qui ont eu quelques désagréments : tous les dirigeants, la clique Escalante, ont été condamnés pour trahison de la révolution et expédiés par le premier avion pour Prague ; et c'est le contraire qui s'est passé : ce sont les dirigeants castristes qui ont amené à eux la masse des militiants communistes sincères.

        Nous voyons par ces différents exemples que les idéologies cosmopolites sont simplement des nuages de fumée servant en fait les impérialismes de nations bien précises.

      3. Les doctrines internationalistes :

        C'est de façon empirique qu'il a tendu à se constituer la seule idéologie correspondant à une pratique qui soit l'inverse de l'impérialisme : c'est l'internationalisme (ou si l'on veut l'ethnisme). L'internationalisme est le contraire du cosmopolitisme comme le mot l'indique : il consiste à reconnaître la profondeur, la réalité, la permanence des faits nationaux, et se prononce pour l'indépendance et l'unité de chaque nation dans le monde, et la collaboration maximum entre nations indépendantes.

        Cette politique tend à se réaliser de façon plus ou moins empirique dans un très grand nombre de pays : en particulier, à mesure que des régimes socialistes s'établissent, nous voyons qu'ils ne le font que grâce à la création de partis communistes nationalistes qui, bien que n'ayant pas élaboré une doctrine ethniste et internationaliste rigoureuse et conséquente tendent en bonne partie à cela et le réalisent partiellement. C'est le cas du P.C. roumain, qui est sans doute le plus avancé dans cette voie, c'est partiellement le P.C. chinois, le P.C. albanais, le Pan-Acabisme (qui ne se dit pas communiste), etc., quantité de tendances qui, dans le monde, tendent plus ou moins à cette politique. Mais jusqu'à présent, à notre connaissance, la seule élaboration théorique totale a été la théorie ethniste faite par le Parti Nationaliste Occitan.

        Un point important est à préciser : nous avons dit tout à l'heure que l'impérialisme d'une nation sur une autre était une conséquence des contradictions économiques. Il est donc bien évident que les tendances impérialistes ne disparaîtront que lorsque les contradictions économiques auront disparu. De la même manière que les classes ne disparaîtront que lorsque ces mêmes contradictions économiques auront été résolues. Nous pensons que cela ne se fera que dans une période malheureusement assez lointaine, qui est la réalisation de la société sans classes et sans états, conditionnée par une automatisation de la production et une abondance des biens. Jusque là, il continue d'y avoir des tendances impérialistes dans toutes les nations : on peut seulement les empêcher de se réaliser. Ce qui demande d'une part une lutte à l'intérieur de chaque nation, et d'autre part une politique internationaliste, qu'on appelle aujourd'hui neutralisme actif (ce nom n'est sans doute pas très bon, mais il est dû aux origines de cette politique qui consistait essentiellement à faire un jeu de bascule entre les deux principaux blocs).

        Il faut bien faire attention de ne pas dire : l'impérialisme, comme une abstraction qui désignerait seulement un certain camp, alors qu'il y a des impérialismes.

        Il faut bien voir aussi que le mouvement de libération nationale doit être le plus total et le plus conséquent, c'est-à-dire que l'indépendance nationale ne doit pas être une formule abstraite. Pour qu'on puisse se dire réellement nationaliste, il faut que l'on précise toutes les conséquences économiques et socialistes du nationalisme. En pratique, on n'est pas nationaliste à notre époque si on ne s'aperçoit pas que l'indépendance nationale exige une structure socialiste.


  2. ANALYSE DE FAITS NATIONAUX : POSITIONS POLITIQUES ETHNISTES

    Dans l'exposé qui précède, un certain nombre de points n'ont pas pu être (ou pas suffisamment) explicités. Afin que les choses soient mieux en place, il serait bon maintenant d'examiner (plus ou moins brièvement) quelques situations nationales concrètes, d'en dégager l'explication ethniste, et d'indiquer en même temps nos positions sur les problèmes politiques qui se posent. Cela permettra d'illustrer l'exposé de la théorie ethniste par des exemples variés, d'en préciser un certain nombre d'éléments, de signaler des points qui n'ont pas (ou peu) été abordés.

    Ce faisant, nous recouperons sans aucun doute les positions de l'une ou l'autre des diverses tendances politiques existant à l'heure actuelle sur tel ou tel cas particulier. Mais il est certain que ce ne sera en général pas avec la même optique. Car aucune de ces tendances n'a, à notre connaissance, de positions cohérentes et générales sur les questions nationales, et se détermine toujours avec plus ou moins de fantaisie et de connaissance véritable du problème posé. Nos positions découlent au contraire d'une analyse homogène du fait national et de sa signification. (1)

(1)  Il aurait été très utile que des cartes pour chacun des exemples soient jointes à ce texte, mais cela ne nous est pas possible pour le moment. Un ensemble de cartes indiquant les limites ethno-linguistiques de toutes les nations est en préparation et paraîtra prochainement, comblant ainsi une lacune très importante.