Jusqu'à présent, c'est presque toujours à travers des rapports de force que se sont réalisés les échanges internationaux économiques, culturels et humains. Ces échanges constituent l'aspect positif des rapports internationaux et ne sont pas nécessairement liés aux rapports de force.
Au point de vue économique, tous les peuples ont besoin de certains produits venus de l'étranger, et disposent eux-mêmes de certains produits désirables pour d'autres nations. Une indépendance économique totale n'est actuellement réalisable pour aucune nation, si riche fût-elle, et signifierait pour tous les peuples de graves privations ou un surcroît démesuré de travail. Un commerce international débarrassé de toute exploitation, basé sur les intérêts réciproques, est donc hautement désirable.
Si l'on considère le nombre des nations et la très grande variété de leurs économies, il paraît certain qu'un tel commerce correspondant aux intérêts des uns et des autres est presque toujours possible. Lorsque dans des cas qui ne peuvent être qu'exceptionnels, un tel accord ne peut avoir lieu, l'obtention dans le pays même de produits similaires et même la privation momentanée sont à longue échéance moins préjudiciables aux intérêts nationaux que l'aliénation même partielle de l'indépendance nationale, qu'une dépendance à sens unique.
Dans la mesure où l'inégalité de la productivité du travail dans les différents pays tend à entraîner une certaine inégalité dans les échanges économiques, seules l'indépendance politique, la possibilité de jouer un jeu de bascule entre impérialismes rivaux, peuvent atténuer puis supprimer cette inégalité. Toute intégration dans une fédération n'aboutirait qu'à un accroissement de l'inégalité, et dans le cas le plus favorable, à un développement dans un sens ne correspondant pas aux intérêts nationaux et accentuant la dépendance vis-à-vis de l'autre ethnie.
Ce n'est pas un hasard si dans la Yougoslavie socialiste et fédérative, le Monténégro, de peuplement serbo-croate, reçoit des subventions étatiques quatre fois plus fortes, par tête d'habitant, que la Macédoine, tout aussi sous-développée, mais de peuplement bulgare et albanais.
Le maintien de l'indépendance est parfaitement compatible avec la plus totale coopération, tout autant qu'une quelconque fédération, mais elle donne de plus le maximum de garanties pour que cette coopération soit toujours basée sur les intérêts nationaux. L'autorité supra-nationale, la fédération n'ajoute rien aux possibilités de coopération, mais rend plus aisée toute tentative impérialiste en lui fournissant un cadre institutionnel et légal par où elle pourra se réaliser. Les tendances impérialistes continuant d'exister dans un monde socialiste, une entité économique supra-nationale socialiste est aussi nocive qu'une entité supranationale capitaliste. Jusqu'à l'entrée dans un monde communiste sans tendances impérialistes et sans état l'état national demeure la seule forme politique valable pour assurer au mieux le développement économique du pays. Encore faut-il qu'à l'indépendance formelle, s'ajoute la prise en mains de l'économie et de l'état par des forces ethnistes authentiques. Même en ce qui concerne les pays sous-développés, il est maintenant incontestable que la ligne nationaliste neutraliste suivie par plusieurs d'entre eux depuis des années est la plus adéquate, leur permettant en particulier d'obtenir les prêts à long terme et à faible intérêt que les superimperialismes rivaux ne manquent pas de leur offrir. Ils bénéficient ainsi d'avantages supérieurs à ceux dont peuvent jouir les satellites dociles de l'Ouest et de l'Est.
On doit souligner que l'indépendance économique totale sera de plus en plus possible (ce qui ne veut pas dire nécessairement souhaitable), à mesure que les hommes connaîtront les mécanismes de la nature et pourront les reproduire à volonté. L'utilisation de l'énergie atomique et de l'énergie solaire, les méthodes d'amélioration des sols et l'agriculture hydroponique, la fabrication de produits synthétiques et la transmutation des métaux, rendent théoriquement possible l'indépendance économique totale. Lorsque le perfectionnement de ces techniques les aura toutes rendues pleinement rentables, la complète indépendance nationale ne dépendra plus que de la quantité de travail que la nation aura voulu fournir pour la réaliser.
Notons en passant qu'il n'existe pas et qu'il existera de moins en moins de pays irrémédiablement pauvre. La richesse d'un pays dépend pour une part des richesses naturelles (et ceci de moins en moins), mais dépend surtout de la quantité de travail et de la nature du travail qui lui a été consacré, de sa mise en valeur, et de l'appropriation par les gens du pays des bénéfices de ce travail. C'est dire que la richesse d'un pays dépend surtout de sa structure économico-sociale et de son indépendance nationale.
Le remarquable développement économique de l'Islande depuis cinquante ans montre à quel point l'indépendance est bénéfique même pour les pays qui se trouvent dans les conditions naturelles les plus défavorables.
A mesure que disparaissent les rapports de force entre nations, que disparaissent l'hostilité systématique comme la servilité systématique qui en résultent envers tout apport étranger, à mesure que des relations pacifiques se généralisent, il devient possible et profitable pour chaque nation de connaître les divers aspects des autres civilisations afin d'adopter tel ou tel élément qui lui paraît désirable. Ces possibilités ont certes toujours existé, mais elles étaient plus limitées, et leurs aspects enrichissants étaient accompagnés d'aspects destructifs.
La richesse d'une civilisation dépend en partie de la fréquence et de la variété de ces contacts culturels et le progrès multiforme de l'humanité dépend pour une grande part de la diversité des cultures (permettant recherches, expériences et innovations dans tous les sens) et de la fréquence de leurs relations. Aucune culture ne possède de supériorité universelle. Les civilisations européennes très avancées en certains points (techniques de la matière) et auprès desquelles les autres civilisations ont énormément à apprendre sur ce terrain, peuvent être très arriérées sur d'autres (connaissance du fonctionnement et des possibilités de l'être humain).
Si l'on juge une civilisation selon le degré de bonheur qu'elle procure, on peut penser que certains peuples amérindiens, sud-asiens, océaniens, sont plus civilisés que les Européens. Ce qui est un progrès pour un peuple pouvant très bien ne pas en être un pour d'autres, seuls les participants d'une civilisation peuvent apprécier valablement ce qui constitue ou non un enrichissement pour cette civilisation et un progrès pour eux-mêmes; les membres d'une autre ethnie ne peuvent en juger qu'en fonction des conditions naturelles de leurs pays et des critères de leur propre civilisation.
Les contacts culturels présupposent l'apprentissage en tant que langues secondes de langues étrangères aussi diverses que possible ; ce multilinguisme varié basé sur le désir de connaître la personnalité originale des autres, est le contraire même du bilinguisme étape de l'assimilation, basé sur le désir d'imposer à l'autre sa propre personnalité ou sur le mépris et la sous-estimation de ses propres valeurs.
Enfin, parmi les échanges proprement humains, il faut distinguer entre l'échange provisoire d'individus tels que le tourisme, l'exercice du droit d'asile, les stages d'étude et de travail, qui sainement organisés ne peuvent que renforcer les liens culturels et être un moyen d'enrichissement pour tous, et d'autre part l'échange définitif d'individus: naturalisation et métissage.
A une échelle restreinte, ceux-ci n'ont d'inconvénients que pour les personnes directement intéressées, par les difficultés d'adaptation qu'ils présentent pour eux et leurs enfants, surtout si les deux peuples originaires étaient très différents.
A une échelle importante, naturalisation et métissage modifient profondément le caractère national, et créent ainsi des perturbations sociales et culturelles dont en définitive sont victimes les autochtones dans leur ensemble. Le premier moyen d'éviter une immigration abusive est d'obtenir dans chaque pays une natalité équilibrée correspondant au niveau optimum de peuplement du pays, toute autre mesure ne venant que consolider cette situation.
Il ne peut être question d'examiner ici quelles techniques sont valables universellement et quelles ne le sont pas. Il faut cependant examiner le cas de l'une d'entre elles, l'écriture.
Il y a plusieurs systèmes d'écriture ; certaines sont idéosyllabiques (écriture chinoise), d'autres sont syllabiques (écritures indiennes), d'autres sont alphabétiques mais plus ou moins mêlées d'idéographisme (arabe, français) ou plus purement phonétiques (italien, espagnol, turc).
Alors qu'une langue exprime une manière d'être plus encore qu'elle n'est une manière de faire et que chaque langue est donc préférable pour sa propre nation, l'écriture, elle, est essentiellement une technique, et il existe entre les systèmes d'écritures une hiérarchie valable mondialement.
Une écriture est supérieure à une autre dans la mesure où elle reproduit plus aisément et plus exactement la parole, dans la mesure où elle se rapproche davantage du phonétisme alphabétique, dans la mesure où chaque son est toujours représenté par le même signe, et ou chaque signe représente toujours le même son.
L'introduction dans l'écriture d'éléments autres qu'alphabétiques-phonétiques constitue une difficulté parfaitement inutile et immotivée ; la langue est par elle-même suffisamment significative pour que sa re-production écrite exacte le soit également. Toutes adjonctions étymologiques, simples produits du pédantisme et du passéisme, sont totalement étrangères au rôle fonctionnel du langage écrit; il est d'ailleurs à la portée de chacun de s'en persuader rapidement par l'usage d'une orthographe phonétique adaptée à sa propre langue.
Cette difficulté de toute orthographe non-phonétique, c'est-à-dire du plus grand nombre d'écritures actuelles, exprime le conservatisme des classes dirigeantes (qui peuvent par un long apprentissage surmonter les difficultés de ces orthographes) et constitue un obstacle à l'acquisition de l'instruction par le peuple.
Plus encore, toute écriture non-alphabétique-phonétique s'insère dans les luttes entre "classes d'âge" fait partie de l'oppression de l'enfance et de l'adolescence par les adultes, et par son caractère irrationnel constitue un obstacle majeur à toute éducation libertaire. A l'enseignement des extravagances de l'orthographe actuelle, doit être substitué celui de la phonétique et d'une prononciation correcte, d'où découle automatiquement l'écriture correcte une fois l'alphabet appris.