FAMILLES LINGUISTIQUES
Vous êtes d'accord pour que, par exemple, entre les ethnies de la famille Bantou, il y ait plus de points de ressemblance qu'entre une ethnie Bantou et une ethnie Slave. Pourquoi alors ne pas faire l'inventaire de ce qui est commun à une famille linguistique par rapport aux autres familles ? Ne peut-on alors considérer que les ethnies Latines devraient se regrouper ?
Le sens de l'histoire est dans l'accentuation de la diversité et non pas dans l'unification, et la raison en est simple, c'est que pour survivre, il a fallu changer et s'adapter, marquer sa différence face à des environnements différents.
Justement à ce propos de survie, pourquoi est-ce que les Basques ou les Corses ne changent pas et ne deviennent pas Français d'eux-mêmes ? Cela n'irait-il pas dans le sens d'un maximum de survie ?
C'est faux, il ne s'agit pas de la "survie" en tant que valeur abstraite mais de la "survie" de la différence accumulée. Et la différence accumulée des habitants du pays Basque s'appelle "Etre Basque" et des Kurdes s'appelle "Etre Kurde".
TERRITOIRE
Les ethnistes considèrent la langue comme l'élément principal constituant un peuple. Ne croyez-vous pas que la notion de territoire soit plus importante et qu'une théorie pourrait aussi bien être échafaudée à partir du principe qu'il n'y a pas de peuple sans territoire ?
Le territoire est important et même indispensable, mais il n'est rien sans l'Homme. Dans le monde animal, la notion de territoire s'accompagne toujours des moyens de délimitation du territoire. Par exemple, quand le lion rugit, son territoire est délimité par l'espace sur lequel s'entend son rugissement. D'autres animaux délimitent leur territoire avec leurs excréments. L'homme, animal territorial indiscutablement, se manifeste pas la langue. Ainsi, il y a territoire de groupe humain là où la langue de ce groupe est parlée, ou bien était parlée jusqu'à une date récente. Ce qui constitue le groupe n'est pas le territoire lui-même mais l'espace dans lequel sa langue est parlée.
L'Ethnisme préconise que toute ethnie a droit à son territoire : celui sur lequel sa langue est parlée. Que faites-vous des Nomades et des Gitans, qui n'ont pas de territoire ?
Ne faussons pas le problème. Les nomades pour la plupart ont un territoire et sont nomades sur leur propre territoire. C'est le cas des Touaregs, des Berbères, des Inouit etc Par contre le problème se pose effectivement pour les Gitans, comme il s'est posé pour le peuple Juif jusqu'à ce que celui-ci intègre Israël. En ce qui concerne les Gitans, ce n'est pas à nous mais à eux de décicer s'ils veulent un territoire et lequel. Celui de leurs ancêtres, au-dessus du Cachemire, ou, après consultation avec les autres ethnies, un territoire non habité. A moins qu'ils ne préfèrent rester nomade. Dans ce cas, il est important que l'on reconnaisse internationalement les droits culturels des voyageurs : l'enseignement de leur langue, droit de voyager, de s'arrêter, etc. Mais je le répète, une mesure ne peut être conçue que si elle vient d'eux, au lieu d'être imposée de l'extérieur.
Toujours à propos de territoire, aujourd'hui, dans les pays industrialisés, il y a de plus en plus d'immigrés qui forment communautés. Par exemple, les Turcs à Berlin, les Maghrébins en France, les Pakistanais à Londres, les Chinois à San Francisco et les Mexicains au Texas. Faut-il pour cela donner à ces communautés des droits culturels et un territoire sur lequel ils auraient le pouvoir ?
Le problème que soulèvent les Turcs à Berlin n'est pas le même que celui des Chinois à San Francisco. Dans certains cas, il peut s'agir de travailleurs venus sans leur famille et qui veulent retourner ensuite dans leur pays d'origine, et dans d'autres cas, tel par exemple les Hispanos du Texas, il peut y avoir revendication légitime de territoires, etc. De toutes façons, l'ethnisme dit que, dans tous les cas sans exception, il faut prendre en considération en premier lieu l'option de l'ethnie vivant sur place, ensuite négocier avec l'ethnie immigrante, en respectant toujours son droit à la langue et la culture.
Si nous regardons la répartition de la population sur la terre, nous constatons une très grande inégalité dans l'occupation du territoire total disponible. Il y a des zones superpeuplées et d'autres vides. La période des émigrations et des invasions n'est donc pas révolue et la conquête par certaines ethnies de territoires ne leur appartenant pas va se poursuivre. La dynamique des ethnies ne risque-t-elle pas d'être pour longtemps encore à caractère impérialiste ?
Il est vrai qu'il reste beaucoup de territoires viables à peupler; mais pourquoi ces migrations obéiraient-elles obligatoirement aux lois de la conquête ? Justement, sur le plan de l'occupation des sols, l'ethnisme établit une déontologie à respecter. L'occupation future des territoires disponibles devra se faire dans le respect des cultures. Il s'agit pour l'ethnisme de faire accepter une charte du droit des ethnies qui rendra tout ethnocide, toute déportation et toute assimilation difficiles.
COHABITATION TERRITORIALE
Supposons que deux ethnies sur un même territoire, chacune revendiquant le droit à la différence : pourquoi ne pas croire à l'enrichissement mutuel de ces deux communautés dans le cadre d'une cohabitation pacifique ?
Il faut d'abord s'entendre sur ce que signifie "deux ethnies sur le même territoire". S'il s'agit, par exemple, de l'ethnie basque et de l'ethnie française sur un même territoire, cela est faux. Les basques vivent en pays basque, les français vivent au nord de la Loire, en pays français.
D'autre part, il peut s'agir d'une situation de type colonial où les habitants d'une ethnie vivent en conquérants sur le territoire d'une autre. Dans ces conditions, l'ethnie impérialiste doit, ou bien quitter les lieux, ou bien adopter le statut étranger en accord avec l'ethnie légitime.
Enfin, il peut s'agir aussi de communautés exilées comme nous l'observons à New-York où les représentants de plusieurs ethnies cohabitent. Mais dans ce cas, comme presque partout, les ethnies se séparent en s'implantant dans des quartiers différents. Il est nécessaire alors que les droits de chacune soient reconnus, qu'aucune des cultures ne soit baillonnée et qu'une charte leur garantisse des droits spécifiques dont celui de disposer des media et d'enseigner leur langue.
JEUNESSE ET ETHNIE
Vos explications sur le soi-disant recul de la tendance universaliste et cosmopolite aujourd'hui ne me satisfont pas. Nous pouvons tout aussi bien supposer le contraire : mues par les forces dynamiques que sont l'innovation ou la technologie, les nouvelles générations ne sont-elles pas moins attachées aux traditions que ne l'étaient leurs parents ?
On ne peut généraliser l'attitude de la jeunesse face à la conscience ethnique. Elle varie selon les peuples et les générations. Considérons certaines ethnies soumises à la violence : la première génération est écrasée, la seconde accepte l'assimilation, parfois jusqu'à la honte et l'oubli de sa langue. Ce n'est qu'à la troisième génération, contrainte par la précédente à l'acculturation, que la conscience nationale ressurgit. Ce schéma semble correspondre à la situation de certaines ethnies amérindiennes aux U.S.A. où la cause nationale est reprise, alors qu'on la croyait définitivement perdue, par les jeunes Indiens formés dans les universités blanches.
INCONSCIENT ETHNIQUE
Il y aurait donc survivance de l'ethnie dans un inconscient collectif ?
Oui. Je crois que l'inconscient, qui joue un rôle primordial au niveau individuel, est aussi déterminant au niveau du groupe ethnique. Le phénomène est comparable. Il peut y avoir refoulement de l'identité chez une personne ou dans un groupe. Nous pouvons observer ainsi, à l'heure actuelle, des ethnies qui, bien qu'ayant perdu presque totalement l'usage de leur langue, voient néanmois ressurgir leur conscience nationale. C'est le cas, en Europe, des Irlandais et des Basques. Mais l'inconscient ne suffit pas à expliquer cette renaissance des consciences nationales. Parfois, l'ethnie conquise, pour survivre, a accepté de se laisser assimiler mais c'est le conquérant qui lui refuse le statut d'assimilé à part entière; car si l'impérialiste parle souvent d'intégration, il ne la permet pas en réalité : il cherche au contraire à asservir la culture conquise et à la maintenir dans une situation d'infériorité. Quand la France propose aux Algériens la nationalité française, de fait, leur statut d'inférieur les poursuit, même dans le cadre d'une intégration. Le rejet, c'est-à-dire la limite de l'acceptation, est de l'initiative impérialiste. Concernant l'Occitanie, le refus d'accorder à l'accent du Sud un statut officiel, par exemple à la télévision, constitue une barrière obligeant les Occitans à perdre leur accent s'ils désirent s'intégrer. Ceci dit, je répète que les rapports d'un peuple soumis, d'une part avec sa langue, d'autre part avec son conquérant, sont très variables. Ainsi, les Juifs de Tchécoslovaquie, craignant de parler le yddish et délaissant le tchèque, apprirent à parler l'allemand mais avec un accent tel qu'ils se firent davantage identifier et ne purent se fondre dans l'anonymat désiré. Par contre, certains Amérindiens, abandonnant l'enseignement de leur langue, ont adopté celle du conquérant, jusqu'à en prendre l'accent mais ont sombré dans l'alcoolisme. Il y a également des peuples qui luttent jusqu'au dernier en refusant toute assimilation.
LEGITIMITE DE LA THEORIE ETHNISTE
Quand un ethnologue observe les différences entre ethnies, quand un linguiste décrit une langue, nous avons là des faits ethnologiques précis. Mais, lorsqu'à partir de données approximatives, des politiciens échafaudent une pratique et une morale politique, ne croyez-vous pas qu'ils jouent aux apprentis sorciers et schématisent des notions d'une complexisté qui les dépasse, élaborant ainsi une nouvelle idéologie qui risque de devenir aussi coercitive que toutes les autres ?
Toute théorie politique est basée sur une conception du monde qui découle d'une explication des réalités. C'est la démarche inverse qui serait surprenante. Ceci dit il faut, d'une part, éviter de manipuler ou transformer la vérité scientifique à des fins politiques et d'autre part, maintenir la primauté d'une morale (vie supérieure à mort, combat contre les oppressions). Ces deux principes devraient garder l'ethnisme sur une voie conforme à la réalité.
Par ailleurs, l'ethnologie est en train de changer. Jusqu'en 1930 le discours de l'ethnologue ou de l'anthropologue concernait le présent pour confirmer le passé; l'ethnologie proposait une image fixée et statique de l'objet de ses investigations. Depuis, l'ethnologue s'occupe de l'avenir et débouche sur un discours politique; (Sapir et Malinowski). Il est vrai que, malgré l'avènement de l'anthropologie sociale, culturelle, politique, l'anthropologue reste un savant, ou un écrivain, qui ne possède pas le pouvoir politique. Celui-ci est toujours aux mains du pouvoir Etatique central qui ne s'intéresse vraiment à l'anthropologie que dans la mesure où elle peut servir ses intérêts, souligner sa supériorité, le conforter dans ses valeurs. C'est le cas d'une certaine anthropologie appliquée où le pouvoir ethnocentriste va jusqu'à se servir de l'anthropologue comme d'un spécialiste des relations humaines pour l'aider soit à conquérir, soit à maintenir sa domination. C'est aussi la prise de conscience par le pouvoir impérialiste qu'il peut diriger une acculturation plus rapide grâce aux connaissances que lui apporte l'anthropologie appliquée.
En France, on peut supposer que la politique pédagogique de Jules Ferry ou que la programmation des émissions de la télévision n'ont pas échappé à ces déterminations.
Notons que l'emploi de cette analyse ethnologique par le pouvoir ethnocentriste est à double tranchant dans la mesure où il y a divulgation des réalités ethniques et donc confirmation des identités culturelles.
VOCATION DE L'ETHNISME
L'ethnisme n'ajoute rien à ce que l'on savait déjà, les travaux sur la linguistique sociale, (Malinowski, Saussure), ont depuis longtemps souligné l'importance de la langue par rapport au groupe humain.
L'ethnisme, sur le plan théorique, par rapport à ces travaux, fait figure de parent pauvre, de "vulgarisateur"; alors où est l'apport ?
L'ethnisme a une vocation pratique c'est-à-dire politique, et pas celle de couper les cheveux en quatre au niveau des questions linguistiques. Par exemple, lorsque je vois dans les bibliothèques cette profusion d'ouvrages sur le sujet, j'aurais tendace à dire : abandonnez la lecture de ces livres car le danger de faire de l'ethnisme un lieu de connaissance est grand; à quoi serviraient les milliers de livres sur la cuisine ou sur le jardinage s'il n'y avait pas de jardin, s'il n'y avait pas de cuisine ? Actuellement l'ethnologie en bibliothèque tend à n'être qu'un débat d'idées sans effet pratique. Sur le plan théorique, personne ne nie le droit à l'originalité des Canaques. Par contre sur le terrain, il n'en est plus question.
Autre exemple, il y a des milliers de livres écrits sur les Lapons et les Inuits, cela pendant que l'acculturation se poursuit à grande vitesse. En fait l'ethno-centrisme occidental se satisfait plus de l'analyse du problème que de sa solution.
TACHES DES ETHNOLOGUES
Quelles doivent être les tâches des ethnologues et des anthropologues actuels à partir de cette prise de conscience ethnologiste ?
La première tâche de l'ethnologue devrait consister à préciser les notions de peuple, culture, ethnie, nation, langue.
Actuellement, je le répète, la définition d'une nation est des plus fantaisistes. Elle est fondée sur des critères aritificiels qui justifient tous les impérialismes.
a) l'unité historique : la plupart du temps, il ne s'agit que de l'homologation d'une conquête militaire
b) les frontières naturelles : il est décidé arbitrairement de tracer un hexagone, d'accaparer une île ou que tel fleuve fera office de frontière. Tous ces arguments tiennent peu compte de la réalité de la langue, de la culture ou du peuple qui vit dans ces territoires. Ce ne sont que des discours d'intérêts pour promouvoir la politique ethnocentriste d'une seule ethnie.
Cela doit être dénoncé.
La seconde tâche de l'ethnologue devrait consister à entreprendre une véritable géographie des langues, c'est-à-dire un inventaire sérieux des ethnies existantes à partir des critères culturels et linguistiques. Ce travail est nécessaire, non seulement comme élément de connaissance, mais aussi comme arme aux mains des minorités culturelles en lutte. Une arme qui doit les aider à préciser leurs revendications. Dès que ce glossaire "Atlas des ethnies" aura été réalisé, il conviendra d'y adjoindre une carte politique des droits des ethnies. Ce travail a été entrepris en 1961 par François Fontan dans son ouvrage "L'ethnisme", dans lequel il réalise la jonction entre les connaissances scientifiques de l'ethnologie et les prises de position politique. Il tire des conclusions puis établit un programme politique à partir de la réalité scientifique des ethnies. Dans ce sens R. Breton ("Géographie des langues") a également fait beaucoup avancer la cause de l'ethnisme.
STATISTIQUES
Au niveau de la réalité des faits, ne peut-on pas vérifier, d'une façon plus objective, les affirmations ethnistes quand elles décèlent des situations d'oppression ?
Absolument, ce moyen existe, ce sont les sondages, les statistiques. Et j'en profite pour faire remarquer que justement des statistiques bien faites pourraient faire ressortir la réalité des oppressions ethniques et des volontés populaires mais que ces sondages, ces statistiques, ne sont pas réalisés. Il nous est impossible aujourd'hui d'apprendre combien de personnes d'origine occitanes possèdent des hôtels, combien de Corses voulant enseigner en Corse sont envoyés dans le Nord, quel est le pourcentage d'indice d'écoute réel des langues minoritaires, etc.
ETHNISME REDUCTEUR ?
En énonçant des droits, des règles propres à toutes les ethnies, l'ethnisme ne réduit-il pas une réalité complexe, risquant en cela de ne pas respecter la tendance à la diversification de l'espèce humaine ?
Oui, je suppose que pour certains ethnologues, c'est une erreur de rédiger une théorie politique des ethnies. Ils pensent qu'on n'a pas le droit d'interférer dans la vie des ethnies dites primitives même pour leur apprendre leurs droits. Ce serait d'après eux une ingérence plus nocive que l'absence d'intervention. Je ne partage pas leur point de vue.
Au contraire, la non-reconnaissance et la non-diffusion du "droit à la différence" des ethnies est une situation réductrice. Ce serait comme si, dans le cas des Noirs d'Amérique, on avait retenu l'argument suivant "Tant qu'ils ne revendiquent pas la déclaration des droits de l'homme, il ne seront pas en mesure d'être libres".
RACISME DES ETHNOLOGUES
Les ethnologues, les anthropologues et ceux qui étudient les races sont surtout des classificateurs. Ils établissent des inventaires de langues et enregistrent des différences entre groupes humains. Ce processus ne mène-t-il pas à un racisme ethnologique ?
Il ne faut pas mettre la charrue avant les bufs. Les sciences sociales n'étudient pas des notions abstraites mais des faits réels et cherchent à les expliquer. Ce ne sont pas elles qui créent une situation d'oppression; elles ne font que les reconnaître. Par contre, il est vrai que l'ethnologue est toujours en position d'observateur, l'ethnie en position d'observée et que cette situation contient en soi les prémisses de l'idéologie impérialiste. Il lui faut donc essayer de déjouer ce piège.
Le terme "réalité" revient souvent dans vos réponses. L'ethnisme n'a-t-il pas tendance à trouver des réponses qui vont dans le sens de sa "réalité" ?
Ce que vous dites s'applique à toutes les théories. L'homme de droite essaie de prouver que la vie n'est qu'un reflet de la loi du plus fort. L'important est de savoir quelle est, de toutes les images du monde, celle qui est vraiment conforme à la réalité. Enfoncez la tête d'un homme sous l'eau et maintenez-la 20 minutes, vous aurez un cadavre : cela n'est pas une vue de l'esprit. Empêchez pendant 100 ans un peuple de parler sa langue, vous aurez un peuple mort : cela est vrai également.
LES AUTRES DYNAMIQUES
Nous savons que le monde est régi par une multitude de rapports de forces qui ont chacun leur dynamique spécifique. La réalité des langues et des cultures en fait partie. Nous pouvons donc supposer que les autres forces (génération, classe, sexe, etc) contredisent la réalisation du schéma ethniste, à un moment ou à un autre.
Vous dites que le monde est mû par des dynamiques diverses et que le courant ethniste ne représente qu'une réalité culturelle parmi d'autres (sexuelles, économiques, etc). Je suis d'accord avec cette affirmation. J'ajoute seulement que la vision ethniste souligne qu'il ne faut pas occulter une donnée au profit d'une autre. Les différentes dynamiques interfèrent ou se succèdent mais ne se contredisent pas. On peut être opprimé en tant que femme, comme enfant et comme Berbère, aucune des oppressions n'annulant les autres.
RAPPORTS DE FORCES
L'histoire montre que les rapports entre les groupes humains sont des rapports de force et que l'image du monde est celle d'une jungle. Qu'est-ce qui vous fait croire que cela peut changer ?
Reconnaître la réalité du monde régi par des rapports de force ne désamorce nullement l'argumentation ethnique. Au contraire, elle est même née de cette constatation. L'histoire des rapports entre ethnies est l'histoire d'ethnocentrisme qui se heurtent à d'autres ethnocentrismes. Ceci dit, l'ethnisme, contrairement à l'impérialisme, suppose que non seulement l'intérêt général mais l'intérêt de chaque ethnie est dans la reconnaissance d'une certaine règlementation. Par contre, l'impérialisme et le fascisme, à partir de la constatation de ces rapports de force, justifient et même préconisent l'oppression, "la supériorité des uns sur les autres". L'impérialisme turc justifiera le massacre des Arméniens, l'ethnisme, par contre, le condamnera et soutiendra, comme conforme à l'intérêt mutuel des ethnies turque et arménienne, la cohabitation à partir de la reconnaissance réciproque des frontières linguistiques et des droits ethniques de chacun des deux peuples.
Il est important de faire la différence entre impérialisme et ethnisme. Les deux sont ethnocentriques, c'est-à-dire issues de prises de conscience nationale. Mais, alors que l'ethnisme lutte contre l'oppression d'une ethnie sur une autre, réclame et donne le droit à la culture, à la langue sur un territoire délimité aux habitants parlant cette langue, l'impérialisme, lui, tente d'imposer sa langue et sa culture.