DEBAT POUR OU CONTRE - 06

INDIVIDUALISME ANARCHISME

La théorie ethniste s'appuie sur la diversité des groupes lignuistiques mais il n'y a pas que les groupes qui diffèrent entre eux : il n'existe pas deux individus identiques. Pourquoi ne pas établir alors le droit à la différence à partri de l'individu, tel que le propose l'anarchisme ?

Premièrement, je dirais que l'individu seul n'existe pas, il est le résultat d'une mémoire collective qui appartient à un groupe : on dit de tel individu qu'il est anglais et de tel autre qu'il est italien. Cela signifie que l'individu établit son bien-être dans la possession de certains attributs communs à son groupe.

Deuxièmement, l'idéologie individualiste, récusant le groupe, est facilement entraînée vers l'ethnocentrisme cosmopolite car elle suppose que l'autre ressemble toujours à soi et que le bien-être est identique partout. Ceci dit, il ne peut y avoir d'individus heureux dans un groupe qui souffre.

ECOLOGIE

Quels sont vos points d'accord ou de désaccord avec les écologistes ?

Dans la mesure où l'écologie et l'ethnisme affichent pour but commun le bien-être de l'individu, il y a des points d'accord mais aussi des divergences. L'ethnisme met l'accent sur la possession des attributs de la culture et de la langue par la population et ne combat pas obligatoirement le système de production de marchandises, si celui-ci n'est pas aux mains d'un oppresseur. Il y a donc dans l'ethnisme une analyse oppresseur/opprimé qui n'apparaît pas chez les écologistes. Par contre, les deux mouvements recherchent le bien-être à partir d'une harmonie avec l'environnement et leur lutte contre les forces aliénatrices est positive.

JEUNES GENERATIONS

A force de tout axer sur l'oppression des ethnies, vous oubliez les autres oppressions. Mai 1968 : ne s'agissait-il pas d'un grand mouvement de révolte hors de toute préoccupation ethnique ?

Vous avez raison. Mai 1968 n'est pas dû à une motivation ethnique, mais à une lutte de générations auquel s'ajoute une lutte de classes. La conscience ethnique est venue après. Ceci dit, je soutiens qu'actuellement, sur l'ensemble de la planète, plus de 80% des conflits sont d'origine ethnique, c'est-à-dire qu'ils résultent d'oppressions d'une ethnie sur une autre. En Europe, exception faite du terrorisme urbain allemand et italien, seuls les mouvements autonomistes (Irlande, Bretagne, Pays Basque, Pologne, Corse) sont engagés dans des épreuves de force.

INTERET ECONOMIQUE OU INTERET ETHNIQUE

Puisque vous faites une distinction entre oppression économique et ethnique, peut-il y avoir contradiction entre l'intérêt économique et l'intérêt culturel d'un individu ?

Si l'on considère un individu, il faut prendre ne compte son ego : cet ego n'est pas une donnée abstraite. Il découle de la nécessité pour cet individu de satisfaire ses besoins les plus vitaux. Parmi ces besoins : celui de manger (économique), celui de communiquer (culturel). Au premier abord, les deux se complètent, mais il y a des cas où l'intérêt économique peut être en contradiction avec l'intérêt culturel. C'est le cas, par exemple, des individus de l'ethnie slovène en Autriche : l'intérêt économique du slovène autrichien est de rester dans la nation autrichienne où le niveau de vie est plus élevé que le niveau de vie yougoslave. Par contre, son intérêt culturel est d'œuvrer à son autonomie et de rejoindre la Yougoslavie. Ceci va à l'encontre de son intérêt économique. Les Suisses italiens sont dans un cas similaire.

NATIONALISME PERIME ?

L'ethnisme mobilise tous les fantômes et mauvais souvenirs des nationalismes que nous espérions dépassés après les guerres de 14/18, 39/45 au cours desquelles ces concepts engendrèrent tant de morts et de misères : un immense espoir pouvait alors apparaître dans la société libérale pluri-ethnique des Etats-Unis. L'ethnisme, en brandissant de nouveaux drapeaux, n'est-il pas une régression ?

Le nationalisme n'est pas une notion abstraite, ni une expression des intérêts de la Bourgeoisie, apparaissant ou disparaissant au gré des événements.(Les nations) les ethnies sont des réalités extrêmement concrètes, je dirais même physiques.
Qu'allez-vous manger à midi ? Si vous êtes occitan, vous mettrez dans votre salade du basilic, de l'ail, des tomates, et vous boirez du vin. Si vous êtes chinois, vous mangerez du riz et boirez du thé. Mangerez-vous assis sur un coussin à-même le sol ou bien assis sur une chaise ? Ce sont là des éléments tangibles. Direz-vous "François viens déjeuner" ou "Franz kommt essen" ? Ce sont des suites de sons différents. On peut continuer à l'infini. Je veux en venir à ceci que la nation allemande est une suite de réalités concrètes, soit : chaise, tabouret, saucisse, etc, que la nation arabe est égale à : sofa, couscous, sons différents. Toute théorie politique qui ne prendrait pas en compte ces différences ne pourrait présenter un programme international cohérent. Bref, on ne dépassera pas le nationalisme en niant son existence mais à partir de la prise en compte de son origine, c'est-à-dire des différences.

Quoique vous en disiez, en lisant les théories ethniques, il y a un fort sentiment de déjà vu. Le début du XIX siècle a vu la prolifération des nationalismes et cet ensemble d'idées (d'autodétermination, d'identité culturelle) a donné naissance à la Société des Nations du Président Wilson. Ce qui, au demeurant, n'a pas empêché la guerre mondiale.

On peut éprouver de la lassitude à l'égard des thèses nationalistes, on peut les considérer comme dépassées, mais on ne s'en débarrassera pas en niant leur existence. Car aujourd'hui encore les nations sont la réalité sur laquelle les rapports de froce régissant le monde sont échaufaudés. Le peuple français, le peuple anglais, le peuple kurde existent. Ils n'ont pas disparu depuis la dernière guerre. Alors de deux choses l'une : ou bien on ferme les yeux et on cautionne l'impérialisme, ou bien on essaie de construire un monde meilleur qui élimine les situations de coercition entre les peuples.

UNITE NATIONALE

Les minorités s'attaquent à la notion d'unité nationale : ne pourrait-on pas résoudre leurs problèmes sans porter atteinte à l'intégrité du territoire national ?

Les discours sur l'unité nationale sont des baudruches de propagande. Ce sont des discours sur le mal et le bien sans argumentation valable. Il y est simplement dit que tout ce qui va à l'encontre de cette unité est un mal et que tout ce qui renforce cette unité est un bien. Cela, d'une manière unilatérale, un peu comme une vérité absolue, puis étayée et programmée d'une manière affective sur une historicité qui n'est au fond qu'un hymne à la conquête. En fait, ces discours dissimulent tout simplement un impérialisme pur.

Que faites-vous du tissu historique qui a servi à faire la nation ? C'est l'histoire de la France qui a fait les français : vous ne pouvez gommer ainsi le passé historique qui les unit.

Il n'y a aucune homogénéité dans l'histoire de la France (ni d'ailleurs dans celle des plupart des Etats actuels). Bien au contraire, les allemands d'Alsace ont, sur mille ans, une histoire bien plus profonde ainsi que les Bretons, les Corses ou les Basques et puisque vous parlez de mémoire, sachez que l'histoire de la France date de deux ou trois siècles. Par contre, les mémoires linguistiques des peuples datent souvent de plus de mille ans. Quand l'histoire commence-t-elle pour le Juif ? En Amérique ? En Israël ? Dans la Judée antique ou dans l'Etat actuel ? Et pour l'occitant, est-ce Monségur ou Louis XV qui est important ? Je ne rejette pas l'argument historique, je précise seulement qu'il n'est valable que s'il ne résulte pas de conquêtes impérialistes.

AUTO-DETERMINATION

Ne croyez-vous pas que dans le contexte des super-puissances (URSS et USA) il soit préférable pour des petites nations (telles que l'Espagne, la France, la Suisse), de préserver leur unité nationale et non pas de s'affaiblir en morcelant, ce qui les livrerait encore plus inéluctablement aux deux impérialismes ?

Non. L'Europe a intérêt à adopter le principe d'une charte d'auto-détermination de ses ethnies. Elle deviendrait alors plus forte car elle ne serait pas affaiblie par des guerres de libérations et des tensions intérieures; de toute façon, on ne peut justifier un impérialisme par un autre.

Je répète : l'acceptation des revendications des cultures minoritaires en France n'est-elle pas une menace pour l'unité nationale ?

Oui, absolument, mais soyons sincères, quelle est la valeur de la notion d'unité nationale si elle n'est pas fondée sur la défense du bien-être des populations ? A la sacro sainte notion d'unité nationale il faut opposer la notion d'auto-détermination et de bien-être des populations.

ECONOMIES NON VIABLES

N'y a-t-il pas risque pour certains peuples (Bretons, Corses, etc), en accédant à une autonomie économique non-viable, de sombrer dans d'autres formes d'asservissement?

Cela est absolument faux. Chaque peuple a, sur son territoire, des atouts économiques qui lui sont propres et 100% viables, surtout dans le cadre d'un monde d'échanges. En Bretagne, c'est la pêche, quand à l'Occitanie, elle ne manque pas de ressources. En fait, cet argument, des plus éculés est parfaitement hypocrite et de ceux qui ont servi de prétexte à garder des peuples en situation de colonisation. En règle générale, si un territoire n'est pas viable, il n'est pas habité, et donc le problème ne se pose pas. S'il est habité, c'est qu'il a une économie viable qui lui est propre. De plus, les besoins ne sont pas les mêmes partout, hormis des besoins fondamentaux liés au contexte culturel. Un Lapon n'a pas besoin d'un réfrigérateur. Sinon, à partir de votre argumentation, la France, qui n'a pas de pétrole, devrait se soumettre à l'Arabie Saoudite.

LES DROITS DE L'HOMME

Il existe un mouvement des droits de l'homme en vogue de nos jours. Si ce mouvement se développe et que toutes les nations adoptent et respectent la charte des droits de l'homme, garantissant aux membres des minorités leur droit à la culture, ne croyez-vous pas que cela rende caduque les revendications des autonomistes ?

La plupart des Etats ont déjà inscrit dans leur Constitution les droits de l'homme, mais ces droits, en ce qui concerne les minorités, restent cantonnés au niveau de l'éloquence et ne sont pas appliqués. La France, dit "le pays des droits de l'homme", interdisait encore récemment l'attribution de prénoms bretons aux enfants. Et puis, si effectivement les Etats acceptaient de donner aux minorités les droits que celles-ci réclament, ces Etats se verraient amputés de leur autorité sur ces territoires. Une fois octroyée aux minorités l'autorité politique, économique, culturelle, linguistique qu'elles réclament, il ne resterait plus grand chose de l'Etat-Nation. Alors pourquoi pas l'indépendance ? Ceci dit, le mouvement des droits de l'homme, bien qu'ayant peu d'effet dans la réalité, reste positif dans la mesure où il édicte des principes justes. Mais, pour qu'il obtienne des résultats concrets, ces droits devraient faire l'objet des sanctions. Malheureusement, ces sanctions, annoncées à grands renforts de publicité par les media sont facilement contournables et font partie de la comédie des rapports de force que continuent à jouer les Etats impérialistes entre eux face à des opinions publiques dupées.
En conclusion, je ne me fais pas d'illusions et je préfère compter sur les dynamiques internes des peuples pour faire valeur leurs droits.

ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE

Que pensez-vous de l'enseignement de l'histoire tel qu'il est pratiqué dans les écoles aujourd'hui ?

Depuis quelques années, l'enseignement de l'histoire a évolué. Néanmoins, les manuels dans les classes primaires et secondaires sont souvent conçus de façon ethnocentriste, cest-à-dire que la réalité y est déformée en faveur d'une ethnie et au détriment des autres. En 1900 les manuels d'histoire étaient de simples livres de propagande nationale alors qu'à l'heure actuelle, si le processus est identique, sa diffusion est plus subtile. Je crois aussi qu'un enseignement plus objectif de l'histoire pourrait favoriser l'avènement d'un monde pluri-culturel. Je suis d'avis qu'une convention internationale de l'enseignement se penche sur ce problème.

LIBERTE

Souvent les jeunes argumentent contre l'ethnisme en revendiquant une liberté totale et individuelle. Pour eux l'ethnie, la patrie, la famille, ne sont que des liens de plus, ils veulent être libres de tout, qu'en pensez-vous ?

Le mot "liberté" seul ne veut rien dire. On est libre de quelque chose, libre de parler, de chanter, de bouger. La liberté a besoin de matière et cette matière est contenue dans le groupe par exemple. La liberté d'expression signifie "être libre de s'exprimer dans une langue". En fait l'idéologie libertaire, c'est de l'utopie qui ne prend pas en compte les réalités.

UNITE MONDIALE

Permettez-moi d'insister sur un point. On a l'impression que l'ethnisme veut découper le monde en petites nations et refaire des frontières. N'est-ce pas inutile ? Pourquoi ne pas chercher à créer un monde UNI ?

Les ethnistes ne veulent pas découper le monde et refaire des frontières artificielles pour le plaisir d'innover ou quelque raison mystérieuse. Au contraire, ils veulent éliminer les fausses frontières, celles qui découlent des rapports de force injustifiés, pour revenir aux seules frontières naturelles, celles des peuples, c'est-à-dire celles des cultures. Croyez-vous que de tirer une frontière avec une règle sur une carte géographique, comme au Congo belge, ou de donner à sa fille un royaume, avec son peuple en dot, ou encore de réaliser une conquête militaire, soit une juste façon de délimiter des peuples ? Ce sont ces frontières-là que les mouvements de libération nationale et les peuples remettent en cause. Les ethnistes ne font que constater cela.

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