YOUGOSLAVIE

République fédérale de Yougoslavie
Capitale : Belgrade
Superficie : 102 173 km2
Population : 11 000 000 d'hab.

Historique (1995)

Au XIXe- siècle, dans le contexte généralisé de luttes d'émancipation nationale contre les Empires austro-hongrois et ottoman, s'épanouit l'idée de rassembler dans un seul État, l'ensemble des populations slaves des Balkans. Elle naquit et s'affirma d'abord au sein des élites slovènes et croates, plus tardivement chez les Serbes, et pour ainsi dire pas du tout chez les Slaves musulmans et chez les Bulgares.
Néanmoins, l'idée fit son chemin dans les cercles intellectuels sud-slaves et coagula, peu à peu, les volontés politiques des nationalistes croates, slovènes et serbo-monténégrins.
L'empire ottoman ne pouvait que s'opposer à cette vision car celle-ci se matérialisait totalement à ses dépens.
La monarchie autrichienne elle, la soutint car elle y vit un moyen d'étendre son influence vers la Méditerranée. Mais l'heure des libérations nationales avait sonné, annonçant du même coup le déclin final de l'Empire des Habsbourg. L'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, avec les conséquences qu'il entraîna, témoigne tragiquement de l'aveuglement complet des Austro-Hongrois en ce domaine.
En 1918, après avoir connu la séculaire humiliation du joug ottoman, le royaume de Serbie se vit, par un singulier retournement du destin , devenir un des grands États d'Europe sans l'avoir véritablement mérité. C'était les Croates, présumant de leurs propres forces et comptant sur leur avancement économique et culturel, qui avaient enjoint les Serbes de s'associer à eux et aux Slovènes. Les Bulgares, devenus de farouches ennemis de la Serbie (depuis l'annexion par celle-ci, de la Macédoine -de langue bulgare, en 1913), jouaient pour leur propre compte.
La méprise des Croates et Slovènes fut totale : la conception de l'État yougoslave pour les Serbes, renforcés par les Monténégrins tout autant serbes qu'eux, n'avait rien à voir avec les sentiments fédéralistes qui animaient les premiers. La dictature serbe entraîna l'apparition de l'extrémisme oustachi ; celui-ci se développa au détriment des partis croates modérés, qui jouissaient pourtant d'un grand crédit auprès des populations qu'ils représentaient.
La première Yougoslavie disparut dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale et les massacres intercommunautaires qu'aggravèrent encore les divergences politiques.

Pourtant, l'esprit yougoslave existait bel et bien. Dès 1943, à Jajce, en plein coeur de la Bosnie partisane, se mettait en place la seconde Yougoslavie, socialiste et fédérative. Tito et ses camarades communistes, avaient compris que leur pays pouvait être rebâti dans l'unité, à condition que l'on respectât ses composantes nationales et ethniques et que l'on réduisît l'importance de l'entité politique serbe - quand bien même on ne pouvait éluder sa totale prééminence démographique.
Le nouvel État, du fait de son détachement du giron soviétique, de ses liens avec l'Occident, de son organisation décentralisée et autogérée, de son relatif développement et de son non-alignement, allait connaître un rayonnement important.
Toutefois, les contradictions en son sein ne manquaient pas et la dictature du Parti communiste n'était pas apte à permettre le règlement des problèmes, qu'ils fussent liés aux identités nationales ou à l'inégal développement économique des régions.
Mais, malgré le renforcement réel d'un sentiment yougoslave, dont témoignait l'accroissement à chaque recensement des personnes se définissant commeYougoslaves , le régime ne put éradiquer le chauvinisme et l'esprit hégémonique serbes. Aussi, dès après la mort de Tito en 1980, allaient se manifester la tendance au renforcement de la mainmise serbe sur l'ensemble des institutions et, parallèlement, les poussées centrifuges des autres nationalités.
Très rapidement, le consensus yougoslave allait voler en éclats sous les yeux consternés d'un Occident impuissant et désemparé devant l'effondrement de ses "certitudes bipolaires".

Situation actuelle (1995)

En 1991 et 1992, les sécessions slovène et croate, puis macédonienne et bosniaque, acquises par des élections démocratiques et des résultats sans appel, consacraient irrémédiablement la fin de la Yougoslavie titiste.
Seuls les Serbes du Monténégro et ceux de Bosnie et Croatie votèrent majoritairement pour le maintien de leur union à la Serbie.
En revanche, de leur côté, les Albanais du Kosovo et les Magyars de Voïvodine ne furent pas autorisés à manifester leurs propres sentiments : leurs provinces avaient entre temps, perdu leur autonomie, le gouvernement serbe les ayant rétrogradées autoritairement.
Le court chemin menant à la guerre fut rapidement parcouru : les forces politiques serbes n'admettaient pas la désintégration d'une Yougoslavie qu'elles s'apprêtaient à mettre en coupe réglée. Alors que l'Union soviétique s'effondrait, l'Occident, et la France en particulier, reprenant une vision géopolitique périmée, ne souhaitait pas la fin de la Yougoslavie. De cette conjonction, est née la guerre entre la Serbie, se parant de la continuité de l'État défunt, et les peuples slovène et croate, sécessionnistes.
Il est évident que l'oubli par la nouvelle Constitution croate, de la reconnaissance de ses minorités, qui fit se dresser les Serbes de Croatie, (séparatistes au sein de la république séparatiste), fut le prétexte commode pour assouvir une volonté réactionnaire de mise au pas des Croates, les Slovènes ayant été rapidement reconnus comme "irrécupérables".
Les événements se sont enchaînés alors pour amener sans interruption à la tragédie bosniaque, après qu'eurent été ravagées et occupées par l'armée serbe plusieurs régions de Croatie.

La Serbie hégémoniste joue sur du velours et ses politiciens retors le savent. Aucune solution politique, imposée par la communauté internationale ou définie entre belligérants, ne peut faire l'économie de la présence serbe bien au delà des frontières de la prétendue République fédérale de Yougoslavie .
Cette présence, déjà ancienne, puisqu'amorcée au XVIe siècle, s'est accrue du fait des guerres continuelles contre les Ottomans, jusqu'au XIXe.
De plus, elle est disloquée sur les territoires croate et bosniaque, avec quelques zones assez compactes, situation que le nettoyage ethnique a renforcée.
En outre, les Serbes de ces régions vivent dans le même bain linguistique que leurs voisins, Croates et Bosniaques-Musulmans, partageant avec eux exactement la même langue.
Ceci fait que tout expansionnisme serbe peut se prévaloir, soit de la communauté linguistique - c'était la position ancienne, soit de la présence de populations serbes, pour tenter de réaliser la Grande Serbie: toutes les formations politiques en Serbie vivent pour ce rêve historique.

Pespectives et propositions

Il paraît avéré que, pour une longue période, aucune solution durable ne peut être mise en place en vue du règlement des contentieux dans les Balkans yougoslaves si elle n'est pas réaliste et proposée de l'extérieur.
Mais pour être crédible, cette solution suppose une grande vigilance sur les conditions suivantes :
  1. Serbes, Croates et Bosniaques doivent être dotés d'un État en propre dans lequel ils puissent se reconnaître puisque, visiblement, le sentiment d'appartenance à une entité sociologique et culturelle commune est caduc.
  2. Ces États doivent être géographiquement cohérents.
  3. Ne doivent subsister en dehors de ceux-ci que de respectives minorités bosniaco-musulmanes, croates et serbes, réduites et citadines de préférence, mais protégées internationalement et jouissant des droits collectifs et individuels propres à toute minorité.
  4. Des échanges équilibrés de territoires et de populations s'imposent, nécessité absolue afin de donner une assise socio-politique stable à ces États.
  5. La Rép. féd. de Yougoslavie étant l'héritière de la précédente Yougoslavie, il est normal qu'elle retrouve son siège dans les instances internationales et que, parallèlement, la Bosnie nouvelle perpétue juridiquement la Rép. de Bosnie-Herzégovine.
En ce qui concerne les territoires à échanger ou à concéder, la Rép. féd. de Yougoslavie doit pouvoir s'agrandir en incorporant la Slavonie et la Dalmatie orientales, présentement croates ; elle doit également annexer l'Herzégovine orientale et le nord-est de la Bosnie (Semberija et Posavina).
Elle doit en revanche, renoncer définitivement à toute revendication au delà, vers l'ouest. Afin de prévenir toute tentative de sa part, les Krajine et la région de Banja Luka, qui seront définitivement incorporées à la Croatie, verront leur population serbe progressivement remplacée par les Croates des territoires définis ci-dessus.
De même, seront progressivement échangés des Musulmans du Sandjak serbo-monténégrin avec des Serbes de la Bosnie orientale (Romanija et Podrinije).
La conception serbe du nettoyage des territoires par l'anéantissement ou l'expulsion des autres, les "indésirables" si semblables, a fait des émules du côté croate et bosniaque.
A petite ou grande échelle, d'autres peuples et régimes ont pratiqué avant eux cette politique méprisable. Depuis un siècle, celle-ci s'est trouvé dans les Balkans, mosaïque humaine s'il en fut, un terrain de prédilection. Il serait cependant utopique et erroné de croire que la stabilité de cette grande région puisse passer par le maintien du statu quo et la conservation de toutes les situations minoritaires.
Toutefois, l'avenir des peuples de langue serbo-croate, dont la laïcisation est largement acquise, doit être envisagé avec sérénité et l'acceptation de la présence de quelques groupements minoritaires réciproques doit être encouragée. Car les liens sont nécessairement appelés à se renouer lorsque s'éloignera dans le temps, l'actuelle tragédie.

Ainsi, dans les villes de Dubrovnik, Osijek, Djakovo et Vinkovci, devraient être maintenues une partie des populations croates autochtones. Dans celles de Novi Pazar, Prjepolje et Pljevlja, subsisteraient des Musulmans. Enfin, à Glina, Banja Luka, Drvar et Knin, sans parler évidemment de Sarajevo, demeureraient des communautés serbes. Gages d'accords futurs, ces minorités auraient bien sûr droit à des garanties internationales.

En résumé, il est absolument nécessaire pour la communauté internationale d'échapper à la logique serbe qui veut que là où sont des Serbes, là est la nation serbe , toute politique expansionniste se trouvant ainsi justifiée a priori.
Mais l'idée croate de territoire historique est également à rejeter car elle mène à des positions maximalistes, celles que prônent les tenants d'une Grande Croatie que l'histoire s'est chargée de redimensionner.
De même, ne peut être tolérée la position bosniaque d'asseoir sur les rapports de force, la réalité nationale des Slavo-musulmans, alors qu' en dépit des lointains antécédents bogomiles, celle-ci est relativement récente et ressemble davantage à une réaction identitaire défensive qu'à une réalité psycho-politique assumée positivement.
Les condamnations internationales et le blocus économico-militaire imposé à la Yougoslavie serbe, auront renforcé le penchant paranoïaque de cette nation. Fruste mais héroïque, soudée derrière ses chefs politiques et militaires et derrière son clergé, elle a tendance à se prendre pour une citadelle assiégée par tous ses voisins, sentiment qu'elle doit à une histoire tourmentée.
Nul ne doit se leurrer, aucune évolution de cette attitude et aucun terme aux conflits ne peuvent être envisagés si le peuple serbe ne se voit pas garantir la réalisation totale de ses droits, à savoir la réunion de tous ses "ressortissants" dans un seul État et l'attribution d'un territoire conséquent, au delà des frontières actuelles de la Yougoslavie serbo-monténégrine.
Les propositions exposées ci-dessus tiennent totalement compte de tous ces impératifs et représentent un objectif clair et réalisable qui peut être atteint dans des délais raisonnables, par la négociation et par la force s'il le faut.

Conflits à désamorcer

De la solution rapide du conflit entre Serbes, Croates et Bosniaques - qui constitue légitimement la priorité absolue à l'heure actuelle, dépend la solution préventive des autres conflits potentiels : il s'agit principalement des problèmes albanais au Kosovo et magyar en Voïvodine.
  1. La situation très tendue au Kosovo n'est pas rendue explosive du fait de la résistance passive de la communauté de souche albanaise. Cette attitude sensée ne saurait toutefois perdurer indéfiniment. L'abcès doit être vidé rapidement.
    La province autonome du Kosovo jouissait sous Tito d'un statut presque équivalent à celui des Républiques fédérées mais ce statut a été invalidé par les autorités serbes, qui y voyaient une atteinte à la souveraineté serbe sur le berceau historique de la nation.
    Cependant, la prépondérance indéniable de l'élément albanais, qu'un taux d'accroissement démographique élevé rend chaque année plus forte, appelle une attitude de compromis.
    Pour des raisons qu'on peut déduire de ce qui a été dit plus haut, il est illusoire de penser que la Serbie peut accepter la perte de sa Judée . Beaucoup de Serbes sont prêts à aller mourir pour défendre Pec, ancien siège du Patriarcat serbe, ou Decani, ou Gracanica, des monastères fameux, ou encore et surtout, Kosovo Polje, le Champ des Merles où, en 1399, périt face aux Turcs toute la chevalerie serbe, dont le sacrifice signait le début d'un effacement de plusieurs siècles.
    Puisque la moitié nord du Kosovo contient tous ces hauts lieux de la mémoire serbe, il serait logique qu'elle reste à la Yougoslavie.
    La moitié sud, une dizaine de districts autour de Djakovica, Urosevac, Gnjilane et surtout Prizren où naquit en 1879, le mouvement national albanais moderne, devrait être rendue autonome dans un premier temps, puis rejoindre l'Albanie, dans un second. Il faudrait lui rattacher également le district de Presevo dans l'extrême sud de la Serbie proprement dite.
    Ainsi redimensionnée, la question du Kosovo trouverait un épilogue par l'installation progressive en Albanie d'une partie des Albanais qui demeurent dans la moitié nord de la province, charge à l'Union européenne de financer ladite installation. La communauté résiduelle, à maintenir de préférence à Pristina et Mitrovica, se verrait accorder un statut libéral de minorité.
    Par ailleurs, la cession à l'Albanie du district monténégrin d'Ulcinj parfairait le dispositif de règlement préventif des litiges albano-yougoslaves.

  2. Au nord, les zones de la Batchka et du Banat peuplées de Magyars doivent, elles aussi, après restauration de leur autonomie, être (ré-) incorporées à la patrie hongroise. Si la situation y est moins critique qu'au Kosovo, il faut néanmoins avoir soin d'éradiquer ce problème au plus tôt.

Autres autonomies à envisager

Bien moins problématiques sont les zones peuplées de nationalités territoriales qui se veulent serbes sans l'être pourtant le moins du monde.
  1. Confinant avec la Roumanie et la Bulgarie, les Valaques du Timok, d'ethnie roumaine et les Torlaques, d'ethnie bulgare, doivent à une longue coexistence et à leur relative assimilation culturelle grâce à la foi orthodoxe qu'ils partagent avec les Serbes, de se tenir pour tels. Développant même des attitudes chauvines excessives, caractéristiques de toute population incomplètement assimilée, leur avenir est pour longtemps lié à celui des Serbes. Mais il y a fort à parier que cette situation évoluerait si la Yougoslavie s'agrandissait en rassemblant la quasi totalité des Serbes et perdait par contre ses nationalités allogènes albanaise et magyare.

  2. Il n'y a pas lieu de dissocier les districts de Bosilegrad et Dimitrovgrad, considérés comme bulgares, du sort des districts torlaques.
    Il va de soi que les visées serbes sur la Macédoine, d'ethnie bulgare, sont, même au nom de l'histoire, purement et simplement irrecevables.

  3. L'autonomie du Monténégro et celle, perdue, du restant de la Voïvodine doivent être maintenues ou rétablies dans le cadre d'une Yougoslavie réaménagée et se décentralisant en vue de l'épanouissement de la démocratie. Mais ce sont surtout les minorités ethnolinguistiques et culturelles résiduelles qui doivent pouvoir bénéficier de tous leurs droits collectifs et personnels.

Conclusion

Une fois ces réaménagements opérés, ce pays (il ne s'agira plus alors que d'une authentique Serbie), devra abandonner son nom de Yougoslavie , afin de manifester à ses voisins et au reste du monde, qu'il aura définitivement rompu avec ses tendances impérialistes.
Le clivage psychologique qui sépare les Serbes de leurs frères de langue et d'ethnie, Croates et Bosniaques, est présentement trop profond pour que l'on puisse envisager à courte ou moyenne échéance, une nouvelle convergence historique. Seule la perte par les Serbes de leur complexe de citadelle assiégée - qui confine à la paranoïa, pourra les sortir de cet isolement orgueilleux qui les frustre en fait eux-mêmes, tout en rendant pénible et dangereuse, la situation de leurs voisins. Il faudra forcément plusieurs générations pour aboutir à un nouvel État d'esprit fait d'ouverture sur le monde et de l' acceptation que l'ordre démocratique, qui suppose le respect de toute minorité, est inhérent à la civilisation et fonde toute forme d'humanité.
Mais, inscrite dans l'ordre naturel des choses, il faut envisager cette convergence et donc, éviter de laisser les haines réciproques contaminer toute les relations futures.
Pour cela, l'usage rapide du scalpel par les organisations internationales est à l'heure actuelle, la plus sage des attitudes.

Jean-Louis Veyrac, 1995

Voir aussi : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Hongrie, Macédoine, Roumanie, Slovénie

 

Les Slaves du Sud nous interrogent (1991)

Giscard d'Estaing interrogé récemment par Anne Sinclair dans l'émission "7 sur 7" prétendait que les affaires yougoslaves étaient des affaires marginales ne concernant guère l'Europe. Nous n'en croyons rien. Giscard, comme tant d'autres, dépassé par la montée des mouvements ethniques fait l'autruche. L'histoire des peuples du Sud-est de l'Europe dérange nos ténors politiques. En fait ce sont des affaires éclairantes voire éminemment révélatrices. L'éclatement de l'État yougoslave que nous avons annoncé il y a maintenant plus de trente ans comme en témoigne la carte des ethnies d'Europe publiée par François Fontan dans son livre "Ethnisme, vers un nationalisme humaniste" est riche de multiples enseignements. La Yougoslavie est comme un laboratoire ethnique qui nous permet de prévoir ce que sera l'Europe de demain. Seule la mauvaise foi ou l'ignorance peuvent permettre d'affirmer que ce qui se passe en Yougoslavie sera sans conséquence pour l'Europe de l'Ouest. Nous nous contenterons, sans refaire le récit des tragiques événements actuels, d'énoncer quelques réflexions.

  1. Les peuples sont mortels
    C'est ce que nous apprend la disparition de l'ethnie dalmate. La dernière personne parlant le dalmate est morte en 1898 à Krk (anciennement Veglia). Le dalmate est aussi attesté à Zadar, Split, Dubrovnik et Antivari. Le dalmate a disparu par assimilation au profit de l'italien et du serbo-croate. Nous sommes d'autant plus intéressés qu'il s'agissait d'une langue latine. A notre connaissance, il n'existe aucune revendication dalmate actuelle. Ce qui veut dire que la disparition d'une langue entraîne la disparition du peuple qui la parle. Peu de langues ont disparu en Europe depuis l'an mil. Les deux seules vraiment connues sont le salmate et le vieux-prussien ou borusse, apparenté aux deux autres langues baltes que sont le letton et le lituanien. Depuis la mort du dalmate, il semble que les langues ne meurent plus en Europe. Bien au contraire les plus menacées comme le basque ou le frison sont en pleine renaissance. Néanmoins, rien ne nous permet d'affirmer que l'occitan ne subira pas un jour lointain le sort du dalmate. Pour l'instant la revendication occitane plaide contre, mais qu'en serait-il si le découragement envahissait les consciences? Nous ne pouvons que souligner ce que serait la perte d'une langue pour l'ensemble de l'humanité. Il en est des langues comme des espèces menacées elles méritent la mobilisation de tous pour leur survie. Lorsqu'une langue meurt, c'est l'humanité toute entière qui s'appauvrit. L'exemple de l'hébreu ou du basque nous permet d'affirmer que le moyen idéal pour qu'une langue soit protégée est de doter le peuple qui la parle d'un pouvoir politique indépendant. Encore faut-il que les peuples menacés veuillent vivre. Nous ne croyons pas à l'inné du sadomasochisme pas plus chez l'individu qu'en matière d'ethnie. Il nous faudrait reprendre ici l'admirable démonstration du psychanalyste Wilhelm Reich contre Sigmund Freud qui prétendait, lui, à l'inné de l'instinct de mort. Contentons nous ici de dire que les impérialismes peuvent et doivent disparaître.

  2. La religion et l'ethnie
    Les religions ne sont pas étrangères aux phénomènes ethniques. Elles sont en interinfluence avec eux. On ne connait pas de peuples sans particularisme religieux. Même les religions les plus cosmopolites n'existent que par les peuples qui les pratiquent. Elles sont souvent un élément important de l'ethnie comme nous pouvons le constater en Israël, chez les Araméens, les Irlandais ou les Arabes. Mais en aucun cas, elles ne permettent à elles seules de déterminer l'existence d'une ethnie.
    L'ethnie serbo-croate se trouve partagée en plus de trois religions: musulmans en Bosnie, catholiques en Croatie, orthodoxes en Serbie. La religion qui, pour tant d'autres peuples, sert de lien national tend ici à diviser un peuple. Pour mieux diviser et régner, Tito poussa l'absurde jusqu'à proclamer une nationalité musulmane. Vouloir faire de la religion le critère d'une nation conduit à l'aberration. Il aurait été plus sage de rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Le conflit entre Serbes et Croates en aurait été réduit d'autant. Tracer une frontière avec le seul critère religieux est une gageure contre laquelle les Bengalis par exemple ont dû se révolter avec les résultats que l'on sait.
    L'histoire d'Occitanie a connu aussi ses conflits religieux, ils se sont soldés chaque fois par des catastrophes nationales. Ce fut le cas lors de la croisade contre les albigeois. Ce fut le cas lors des luttes fratricides entre catholiques et protestants qui ont mis fin à l'indépendance du Béarn et des Provinces Unies du Midi. L'histoire occitane peut elle aussi servir de leçon. L'intégrisme religieux n'aide en rien la libération des peuples. Il est au contraire un moyen de les asservir. Le droit à la liberté religieuse et à la différence de croyance est une des conditions pour éviter les excès de l'intégrisme. Tenons nous le pour dit pour l'Occitanie de demain.

  3. L'économique et l'ethnique
    Chaque ethnie tend à se doter de sa propre idéologie économique. Quant à vouloir anéantir les revendications ethniques au nom d'un système de production et d'échange, fut-il aussi prometteur que le socialisme autogestionnaire auxquels tant de socialistes français ont cru, aboutit aussi à l'absurde. L'exemple de l'URSS n'est pas unique, le cas yougoslave le complète. Même débarrassé du stalinisme, il n'y a aucun socialisme au monde qui puisse défier les réalités nationales. La question nationale est bien le talon d'Achille du marxisme comme l'a si bien dit Régis Debray dans un article prophétique du Nouvel Observateur intitulé "Le grand silence de Marx" (N° 541) Régis Debray sait là de quoi il parle pour en avoir fait les frais. A vouloir réduire les faits nationaux à des faits de superstructure, tous les marxismes se meurent. Que l'on ne vienne pas nous dire que ce sont seulement les interprétations de Marx qui sont erronées, c'est la marxisme lui même qui l'est. Il existe d'autres talons d'Achille dans le marxisme, mais celui-ci nous semble essentiel pour expliquer sa chute actuelle.
    Les partisans du capitalisme universel qui pour l'instant semblent triompher par contrecoup feraient bien d'afficher plus de modestie. Si nos libéraux s'acharnent tout autant à vouloir anéantir les ethnies, ils risquent de présenter le même talon d'Achille. Ce qui se passe dans les pays de l'Est annonce ce qui va se passer dans ceux de l'Ouest. Nous renvoyons à l'article de Jean François Kahn dans l'Événement du Jeudi du 5 septembre 1991 intitulé "En France comme en Urss". La carte d'Occitanie y apparaît en première page du journal. Ainsi la réduction à l'économique dans l'espace européen prépare des lendemains qui déchantent pour les tenants de l'impérialisme français de droite comme de gauche. Là encore l'Occitanie n'a pas fini de faire parler d'elle.

Les langues sont des fils conducteurs de l'histoire

Il suffit d'y regarder de près pour se rendre compte que l'éclatement de la Yougoslavie ne se fait pas selon le hasard des rapports de force. Ceux-ci, bien sûr existent, mais ils sont soumis aux faits culturels. L'État yougoslave tend à éclater en fonction des langues qui s'y parlent.

  1. La Slovénie.
    L'indépendance de la Slovénie semble acquise pour les autres peuples de l'ex fédération. Les menaces militaires ont été très vite sans effet. La tendance générale chez les dirigeants occidentaux est à la reconnaissance de l'indépendance slovène. Le Président français a beau traîner les pieds, il ne pourra pas longtemps rester accroché à son principe metternicien d'intangibilité des frontières. Le principe opposé du droit des peuples l'emportera selon toute vraisemblance.

  2. Albanais du Kossovo et Macédoniens bulgares.
    Ce sont des fractions de peuples injustement séparées de leur ethnie mère. La détermination des Albanais contre l'impérialisme serbo-croate n'a jamais cessé. C'est eux qui les premiers ont manifesté leur volonté de se séparer de l'empire yougoslave. De leur côté les Macédoniens viennent de voter massivement en faveur de leur indépendance. Les uns comme les autres sont appelés à se rattacher aux États respectifs voisins dont ils n'auraient jamais dû être séparés.

  3. Italiens, Hongrois, Roumains.
    Leurs territoires sont limités à des marges. Erreurs de partages frontaliers. Leur rattachement à leur patrie respective sera certes difficile étant donné leur petit nombre, mais ce n'est pas impossible si les principes "ethnistes" leur sont un jour appliqués.

  4. les Serbo-croates.
    Il s'agit de l'ensemble linguistique dominant. C'est autour d'eux que s'est constitué l'amalgame yougoslave. Serbes et Croates parlent selon tous les observateurs des dialectes d'une même langue. Les clivages entre eux sont historiques, religieux et graphiques, mais leur langue à quelques variantes dialectales près est la même. Le séparatisme croate a pris le visage du fascisme sous la bannière des oustachis. Nous ne pensons pas que ce soit là le fait du hasard. Faute d'originalité linguistique, les dirigeants croates se sont appuyé sur la seule volonté de puissance chère aux théoriciens nazis. Rien d'étonnant si, à nouveau, on n'entrevoit d'autres rapports possibles que ceux de la guerre. L'intercompréhension culturelle est de peu de poids face au terrible pouvoir des armes. Mais il faudra bien qu'un jour la guerre cesse et que l'on se parle. On redécouvrira alors qu'on se comprend, qu'on est donc du même peuple et qu'une fédération serbo-croate est la solution la plus sage.
    Les intellectuels occidentaux qui soutiennent le faux nationalisme croate comme pour s'opposer à la définition linguistique de la nation sont à nos yeux des criminels. Ils entretiennent une haine meurtrière qui n'a pas de raison d'être et ils freinent par là même le grand mouvement historique actuel d'émancipation des ethnies, à commencer par la plus dérangeante d'entre elle, l'ethnie occitane.
    L'union multi-ethnique et les découpages factices des ethnies sur d'autres critères que la langue ne tiennent pas la route... Tito a eu beau partager la Serbo-croatie en Montenegro, Bosnie-Herzégovine, Serbie et Croatie, la logique de l'unité serbo-croate devra l'emporter malgré tout comme cela s'est produit pour l'Allemagne. L'hégémonisme serbe exacerbé par toutes ces tentatives de divisions n'aura alors plus de raison d'être.
    Quitte à paraître nager à contre-courant, il nous faut en appeler à l'unité du peuple serbo-croate. En ces temps de guerre, c'est vouloir la paix et la justice. A ceux qui nous accuseront d'utopie, nous leur dirons que nous sommes pour l'utopie de la paix entre les peuples et que nous croyons à sa réalisation contre vents et marées. Car les forces culturelles plus que tout autres sont appelées à régir le monde. La géopolitique de demain sera celle des langues.
    Ainsi l'exemple des Slaves du Sud nous ramènent, entre autres, à la question occitane. Les Slaves du Sud nous responsabilisent. C'est peut-être pour cela que nos présidents de la République française font l'autruche et jouent les Metternich. Mais combien de temps tromperont-ils encore les peuples ?

Jacques Ressaire, 1991

 

carte

tableau des populations, ethnies, langues, religions

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